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Dans les premières lignes de L’Etabli de Robert Linhart, récit de sa propre expérience de militant, dont le présent film est une fidèle adaptation, on lit : « La première impression est, au contraire, celle d’un mouvement lent mais continu de toutes les voitures. Quant aux opérations, elles me paraissent faites avec une sorte de monotonie résignée, mais sans la précipitation à laquelle je m’attendais. » Le style à la fois précis et épuré, rend compte d’une mécanique immuable à l’œuvre et de son immédiate prise en compte. Lorsque qu’en septembre 68, Robert, fervent marxiste-léniniste (Swann Arlaud), passé par les grandes écoles, se plonge anonymement dans un atelier de confection de 2CV pour éprouver le « calvaire » ouvrier, un monde s’ouvre dont les codes lui échappent. Le bourgeois masqué, habitué à tout dominer se retrouve pris au dépourvu, immédiatement aidé par plus aguerri que lui. Mathias Gokalp (Rien de personnel qui auscultait déjà les rouages du monde capitaliste) filme avec minutie cet apprentissage où les gestes dont la répétition impressionne autant qu’elle terrifie, remplacent la parole. Or la parole, pour l’intellectuel, ne peut être muselée. C’est par elle que Robert peut faire dérailler les choses, arrêter ces gestes aliénants. L’Etabli serait donc le récit d’un va-et-vient entre les mains et les mots dont le parfait alliage serait à même de redonner un visage à des anonymes écrasés par la machine. Linhart, par la littérature, Gokalp par le cinéma, font œuvre de peintres. Les traits et les couleurs, fussent-elles volontairement froides, transcendent l’énergie d’un combat à partir du motif.