- Fluctuat
Blade II s'était tranquillement imposé comme un film d'action qui compte. Blade Trinity se révèle d'emblée être un film qu'on oubliera. En soit tout une question de mode et de cinéma.
Le cinéma et la mode ont un point commun : le premier son auteur, la seconde son styliste, ce qui finalement revient un peu au même. Dessiner, connaître les corps, les formes et les matières et leur donner une existence matérielle, au cinéma aussi on connaît. Savoir filmer c'est jouer avec les lumières, les couleurs, le cadre, l'espace et son découpage ; comme dans la mode c'est aussi traverser une histoire ou celle des arts, se réapproprier des genres, des codes, les tourner ou les détourner. Quand Tom Ford (dont on rêve de voir le premier film) crée son dernier défilé pour Yves Saint-Laurent Rive Gauche, on est fasciné par la virtuosité avec laquelle il transcende l'esthétique des robes chinoises inspirée de In The Mood for Love. Les figures du styliste et du metteur en scène se croisent et avec Blade c'est un peu la même chose, toujours une histoire de mode. Comme il vaut mieux avoir l'invitation pour les soldes privées Marc Jacobs que Zara, mieux vaut avoir été invité à voir Blade II que Blade Trinity, ultime fin de série entre parenthèses filmée pour spectateurs sacrifiés.Blade II de Guillermo Del Toro (Hellboy) représentait l'un des summums du film d'action contemporain. Monument chromatique et bestial à la stylisation radicale, le film s'imposait par sa plongée nocturne dans un univers saignant, sombre et baroque. D'une cohérence esthétique implacable, la version tournée par Del Toro montrait un Wesley Snipes tourmenté, incroyable machine destructrice de l'ombre prise dans l'ambiguïté de sa généalogie mi-homme mi-vampire. Film d'une violence et d'une virtuosité inouïe au scénario minimaliste, Blade II ne perdait pourtant jamais en route sa dimension dramatique, et n'hésitait pas à conclure sur une note poétique une histoire d'amour impossible. Guillermo Del Toro est un styliste.Ce qui n'est pas le cas de David S. Goyer, scénariste des trois films et réalisateur de Blade Trinity, qui ruine en un film tout le potentiel et l'entreprise esthétique posés par Del Toro ou Stephen Norrington (Blade I). Parce qu'il pense avoir des idées, Goyer croit que renouveler la licence en la tirant vers une trivialité de mauvaise série B lui donnerait du sang neuf. Prendre le spectateur pour un beauf en lui assénant des blagues vaseuses et graveleuses auxquelles personne ne rit ne semble pas le gêner. Et le fait que ceci soit en complète rupture avec la tonalité du film précédent non plus.Ainsi de faire partager l'affiche à Wesley Snipes avec la très sensuelle Jessica Biel et l'insipide Ryan Reynolds. Deux acolytes de pacotille dont Goyer ne sait pas quoi faire si ce n'est voir la première tirer à l'arc lors de scènes absurdement longues et entendre le second lancer un maximum de répliques débiles. Ce rajeunissement et cet éparpillement autour des deux nouveaux personnages effacent complètement la figure de Blade, et du coup on ne s'intéresse plus à personne. Goyer aurait pu prendre soin de mieux filmer le corps de son actrice et jouer d'une sensualité trouble dans ce monde de vampires, mais non. Il n'est pas vraiment metteur en scène, et il le prouve. Chaque scène d'action consiste en un brouillon, vague dégénérescence des premiers films ne prenant même pas en compte la puissance corporelle de Snipes qui a pourtant prouvé tout son talent martial. Chorégraphies ratées, lumière abominable, pyrotechnies manquées, horreur allégée, construction dramatique aussi passionnante qu'un film de George P. Cosmatos (Rambo II), tout est ici bradé et prend l'allure d'un projet discount démesuré. Goyer fait disparaître le personnage de Kris Kristofferson sans s'y intéresser plus d'une demi-seconde, sort des cartons un Dracula new look ridicule qui a une gueule de hardeur, et Parker Posey ressemble plus à une Ovidie hystérique qu'à une icône gothique dégénérée. Le tout fait qu'on s'ennuie ferme, à se demander qu'est-ce qu'on fait là alors que Jessica joue avec son iPod. David S. Goyer prouve qu'il filme comme n'importe quel tâcheron hollywoodien et ses talents de scénariste frôlent le zéro pointé. A coup sûr, Blade Trinity ne sera jamais à la mode.Blade Trinity
Un film de David S. Goyer
Etats-Unis, 2004
Durée : 1h46min
Avec : Wesley Snipes, Kris Kristofferson, Jessica Biel, Ryan Reynolds...
Sortie nationale : 08/12/2004
Film interdit aux moins de 12 ans[Illustration : Wesley Snipes. Photo © New Line Cinema]
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- Lire la chronique de (Hellboy) de Guillermo Del Toro (2004)