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Les derniers moments d’un intermédiaire de l’ombre. Le renouvellement du style d’un grand cinéaste et un prix d’interprétation cannois mérité pour Javier Bardem.
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Sous la caméra d'Iñárritu, le parcours individuel, et égoïste, d'Uxbal rejoint celui de ces clandestins, d'abord - scène grandiose - attrapés et tabassés par des flics. Puis, moment bouleversant, rejetés par la mer, une fois morts... Seules les victimes importent : voilà ce que nous dit Iñárritu. Peut-être ne le dit-il pas avec l'élégance que certains souhaiteraient - mais il y aurait fort à dire sur l'élégance, alibi commode, alibi de la tiédeur : Welles était-il élégant ? Et Bergman ? Et Fassbinder ?... La beauté du film vient de sa fièvre, de son emportement.
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Biutiful est une fable qui dit les désordres de notre époque avec un sens éblouissant de la transcendance. Iñarritu est un styliste et sa caméra, un pinceau. On n’est pas chez Ken Loach, mais plutôt chez Murillo, le Greco. Il y a de la compassion pour l’ange déchu que joue Bardem et une profondeur de champ qui produit tout du long un vertige fascinant et extrêmement cinématographique.
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Moins labyrinthique que ses précédentes oeuvres mais d'une puissance émotionnelle bouleversante, Biutiful puise sa force dans la présence sidérante de Bardem.
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Malgré ses outrances et quelques effets formels malheureux, Biutiful se distinguait de l'ordinaire de la compétition par son souffle lyrique et sa mise en scène toujours inventive. Un prix d'interprétation est venu logiquement récompenser la prestation hors norme de Javier Bardem, mais le film aurait mérité mieux.
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(...) Bardem porte ce film de Barça, loin des ramblas ensoileillées. Entouré d'enfants aux doux visages, Bardem fait face à la mort tendrement, tout beautiful qu'il est.
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par Julien Welter
Toutes les critiques de Biutiful
Les critiques de la Presse
(...) Iñárritu opte, avec Biutiful, pour le portrait d’un héros de l’Espagne d’en bas. Ce récit allégé (peut-être trop pour tenir en haleine 2 h 17 durant) lui permet de retrouver la liberté d’antan et de plonger dans une banlieue défavorisée de Barcelone avec la « viscéralité » de ses débuts. Comme dans Babel, sa bienveillance chrétienne a encore tendance à réduire ses personnages à des brebis égarées. Le tout pourrait ressembler à un refrain de Christina Aguilera (« Ils sont biutiful, quoi que les gens disent ») mais, heureusement, le réalisateur mexicain a deux atouts dans sa manche : Javier Bardem et le fantastique. Le premier porte le film sur ses épaules avec une gravité déchirante. Le second sort Biutiful de son carcan social et éclabousse le film d’une étrange beauté, augurant d’une nouvelle voie à creuser pour Iñárritu.
(...) l'action de Biutiful se déroule dans le Barcelone de l'invisible, loin des clichés de carte postale : celui des travailleurs clandestins qu'Uxbal tente d'aider. Le regard que porte Iñárritu sur eux est l'un des atouts majeurs du film. Loin de toute condescendance larmoyante, il mêle réalisme cru et ambiance surnaturelle (Uxbal est aussi "accompagnateur de morts"), ce qui permet à ce chemin de croix de ne jamais perdre de sa dignité, même si l'accumulation des drames rend sa dernière partie moins forte car trop redondante. On oublie cependant ce défaut à la simple évocation de l'interprétation tout à la fois puissamment humaine et profondément christique de Javier Bardem, saluée par un prix d'interprétation mérité à Cannes.
Le plus : C’est le message de Biutiful, rapporté par son réalisateur: «Même si l'obscurité paraît omniprésente, Biutiful comporte beaucoup de touches d'espoir. C'est même mon film le plus optimiste.»
Le moins : On peut ne pas partager l’avis d’Inarritu et trouver insupportable cette surenchère dans le malheur et cette quête de rédemption par le biais de la descente aux enfer.
Pourtant, il y a quelque chose ici qui résiste, et c'est la première fois, au déluge de l'épaisse tambouille d'Inarritu. Ce quelque chose c'est quelqu'un, c'est Javier Bardem, qui a remporté cette année à Cannes le prix d'interprétation. C'est mérité : il est vraiment excellent. Quand on dit qu'il résiste, c'est au sens d'une résistance physique, non seulement aux tuiles que le scénario répand sur lui en averses, mais plus largement au cinéma d'Inarritu. C'est le seul vrai changement à signaler ici : jusque là, la passion d'Inarritu pour la tautologie contaminait tout, y compris et surtout les acteurs - grand cris, grosses larmes de Sean Penn, de Brad Pitt. Ici la carcasse de Bardem traverse tout le film comme une lourde éponge, absorbant tout, toute la charge mélo, toutes les inepties du scénario, et c'est quelque chose d'assez beau qui se joue finalement dans cette résistance héroïque à peine rompue, par moments, par de courtes explosions. Avec lui le film est presque regardable, et pour ce prodige là, c'est sûr qu'il méritait des lauriers.
Prix de la mise en scène à Cannes en 2006 avec « Babel », Iñarritu s’affranchit de son scénariste habituel, Guillermo Arriaga, renonce aux films-puzzles et se concentre cette fois sur le destin d’un seul homme.
Mais quel destin! Exploiteur exploité, figure christique en prise directe avec les morts, Uxbal vit un chemin de croix que l’on peut juger tour à tour incroyablement puissant ou atrocement doloriste. Prix d’interprétation à Cannes, Javier Bardem s’est donné corps et âme. Il est impressionnant.
Le buzz cannois annonçait un Biutiful allégé et moins alambiqué, la galerie habituelle de personnages-dominos laissant place à un Javier Bardem occupant l’espace en voyou barcelonais.
En vain : il est chargé comme une mule dans le registre saint-salopard.
Son business de dealer est chancelant, sa femme est trop folle pour s’occuper de leurs enfants, il est diagnostiqué d’un cancer en phase terminale.
Le martyr est filmé dans un Barcelone interlope, loin de sa réputation festive, mais Iñárritu préfère s’en servir comme toile pour ses afféteries transies habituelles (des morts qui parlent ! suspendus au plafond ! une super poursuite d’immigrés clandestins !).
On n’a rien contre les chemins de croix, mais on voit plus l’enluminure qui cache le vide que l’illumination dans celui d’un Bardem s’affaissant.
Sa résignation, son regard tombant étaient terrifiants quand il était la Mort incarnée chez les Coen (No Country for Old Men). Une force chaotique au mystère cent fois plus grand (“pourquoi tue-t-il ?”) que celui qu’Iñárritu veut trousser ici sur un air de Santa Barbara (“pourquoi j’ai le mal de vivre ?”).
En mort qui marche, Bardem n’est plus que tics et ingrédients pour gaz lacrymogène.
Le réalisateur mexicain peut embrasser dans un même film les réalités, les espaces, les conditions les plus diverses. Biutiful, son quatrième long métrage, un hyper-mélodrame, en fournit une nouvelle preuve.
A Barcelone, Uxbal (Javier Bardem) tente d'affronter un sort défavorable. Son père est mort exilé, sa femme est folle, son frère est un salaud, et il est atteint d'un cancer de la prostate. Les expédients de sa survie – il est dans le trafic d'immigrés clandestins – offrent au film la chance d'élargir cet échantillon de calamités. Il faudrait avoir très mauvais esprit pour penser que le film capitalise sur le malheur des gens pour en tirer profit.
(...) Biutiful prend les contours d'un documentaire esthétisant sur Sangatta, d'un mélodrame sidérurgique à la chinoise, d'une fiction gay, d'un thriller psychologique à la Birdy ou d'un épisode de ça se discute sur le thème des enfants battus. Bardem à les épaules pour maintenir héroïquement le cap, mais ce côté sampling et le forçage de touts les braquets pèsent d'autant plus que le film prend tout son temps pour dire si peu.
Récompensé par le Prix d'interprétation à Cannes, Javier Bardem impressionne, mais n'empêche pas l'ennui de s'installer. Noir, c'est noir, plus moche la vie, c'est dur !
Marié à une bipolaire qui le trompe avec son frère et bat ses enfants, Uxbal, qui pratique la télépathie avec les morts et le travail au noir, pisse du sang et n'a plus que quelques mois à vivre pour cause de cancer carabiné. Ah, et son père vient de mourir. Et puis il porte une coupe mulet. Autant dire que sur l'échelle du pathos, le garçon se défend. Sans surprise, Iñarritu capte la souffrance d'Uxbal avec sa fascination habituelle pour la chose, dans une esthétique volontairement brute et cradingue, so trendy. Censé évoquer la mort par le biais d'un personnage doté d'une forte spiritualité (télépathie), Biutiful est étouffé par un misérabilisme de tous les instants, doublé d'un symbolisme des plus balourds (blattes + fourmis = mort ; oiseaux dans le ciel au crépuscule = vie qui s'envole ; etc) et d'un scénario cousu de fil blanc.
Prétentieux, bruyant, ce film pénible ne vaut que pour la prestation de Bardem, qui dévore l'écran.
Il fallait la virtuosité discrète d’un Javier Bardem, impérial, pour se sortir d’un tel rôle. La virtuosité formelle d’Inárritu, elle, est moins subtile ; elle ne fait qu’enfoncer le clou de ce mélo sur la paternité au dolorisme de bazar qui s’apitoie beaucoup trop sur lui-même. Mortifère !
Bardem a obtenu le prix d'interprétation cette année à Cannes et ce n'est que justice car sa prestation, doloriste en diable, semble mitonnée pour les lauriers. Avec ses yeux de labrador à qui on a refusé un nonosse, il finit pourtant par en faire vraiment trop.
C'est également le cas d'un scénario prévisible et d'une mise en scène alambiquée. Trop d'émotions tue l'émotion dans ce mélo qui souffre de l'absence de Guillermo Arriaga, scénariste des précédents Iñárritu, d'Amours chiennes (1999) à Babel (2006).
Iñárritu n'a jamais été un cinéaste subtil. Mais sa mise en scène à effets, très hollywoodienne, servait toujours son propos : la noirceur de l'humanité et l'espoir ténu de rédemption. A travers ses récits éclatés et sa multitude de protagonistes en souffrance, ce moraliste nous donnait des nouvelles du monde avec lyrisme et empathie. Ici, en se concentrant sur un seul personnage et en n'ayant d'yeux que pour son acteur principal, il devient pesant. Il commence et clôt son film sur le même plan : un paysage enneigé au milieu de nulle part où son héros partage une cigarette avec un homme plus jeune. Procédé démonstratif, quelque peu méprisant pour l'intelligence du spectateur : on avait compris que cette forêt immaculée était le décor (pas très imaginatif, d'ailleurs) d'un au-delà où Uxbal retrouve son papa... Mais il y a plus grave. Une image douteuse, inacceptable, nous prend en otage : quand ce salaud ordinaire sur le chemin de la repentance fournit des radiateurs à des ouvriers clandestins, la caméra s'arrête sur l'Asiatique malhabile qui les met en marche. Pourquoi ce plan insistant ? Pour nous avertir d'une catastrophe imminente, nous imposer un suspense complaisant. Pour Iñárritu, le malheur du monde n'est plus un sujet, mais un ressort dramatique. Un truc de mise en scène. Pas bien moral.