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Nous avons interrogé des fans français de la franchise, pour connaître leurs impressions sur la nouvelle série.

En ligne sur Netflix (en France) et CBS All Access (aux USA) depuis une semaine, Star Trek : Discovery a fait l'unanimité chez les critiques, y compris chez Première. Mais Star Trek, ce sont encore les fans qui en parlent le mieux. La grande saga SF de la télé américaine, créée par Gene Roddenberry en 1966, compte, encore aujourd'hui, des millions d'adeptes, partout dans le monde. Des "Trekkies" comme ils s'appellent, qui ne jurent que par la Fédération et ses vaisseaux. Alors que pensent-ils de cette 6e édition itération de la franchise ? Nous sommes allés leur poser la question.


Guillaume, Olivier, Sébastien et Martial sont membres du Star Trek French Club, une association made in France, qui organise différents événements et rencontres entre fans de Star Trek. Comme leurs homologues du monde entier, ils attendaient avec impatience de retrouver l'univers de la saga : "Je suis tombé dans Star Trek il y a 21 ans. J'ai dévoré tous les épisodes des anciennes séries, j'ai lu les romans paru chez Fleuve Noir, j'ai joué pendant 10 ans à des jeux de rôle en ligne... Alors forcément, quand ils ont annoncé le retour de Star Trek à la télé, j’étais optimiste et impatient. Douze années d’attente (depuis la fin d'Enterprise, en 2005) enfin comblées", explique d'abord Sébastien, qui aura 34 ans avant la fin de l'année. Alors est-ce que Discovery a été la hauteur de ses attentes ? "Visuellement c’est beau, c’est dynamique. Mais d’un autre côté j’ai un peu peur que la dose d’action et le rythme ne soient au détriment du fond (...) Je ressors avec une sensation partagée, entre enthousiasme d’enfin revoir du Star Trek à la télé, et la peur d’être déçu que l’héritage de ces 50 dernières années ne soit perverti."

"Je suis content de voir que la franchise s’actualise vers quelque chose de nouveau"

Même impression générale, pour Martial, 52 ans et fan de la saga depuis 30 ans. Pour lui, Discovery est "structurée de façon à nous rassurer quant au poids de l'héritage qu'elle doit assumer. Mais malgré ces beaux principes de base, ces premiers épisodes laissent présager ce qui est la marque des trois derniers films : une concentration excessive d'action, au détriment de la qualité du scénario. J'espère que la suite ne me donnera pas raison." Guillaume, lui, ne partage pas cette inquiétude. Âgé de 26 ans, il a été "plus qu’emballé" par les débuts de Discovery : "Je suis content de voir que la franchise s’actualise vers quelque chose de nouveau et de plus large, au lieu de simplement se reposer sur son poids culturel". Olivier aussi a "adoré". Passionné par la saga depuis 1986, il a goûté le retour de la série : "Il est clair que beaucoup d’attention a été porté à la direction artistique. C'est du très haut de gamme, avec une très belle photographie (...) et cela amène une grande identité visuelle à la série".

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"Les fans ne se satisferont pas juste de la forme, aussi belle soit-elle !"

Et pour cause, Star Trek : Discovery tranche de manière nette avec ses glorieuses aînées, sur le plan esthétique. Indéniablement, la plus grande évolution est visuelle. Les effets spéciaux de la nouvelle série sont époustouflants et la production a beaucoup misé dessus. Trop ? "Le budget dans les séries de SF, c’est souvent le nerf de la guerre", poursuit Olivier. "Avec un budget de 8 millions de dollars par épisode, on est clairement un ton au dessus de la série originale (1,3 millions en équivalent 2017), de Stargate SG-1 (2 millions) ou de Star Trek Enterprise (5 millions). Malgré tout, les effets spéciaux sont plutôt secondaires : les Trekkies veulent de la philosophie, des grandes questions et des dilemmes moraux à discuter durant de longues soirées, plutôt que d’épiques batailles à  commenter. Et puis il faut bien plaire aux potentiels nouveaux spectateurs, ces derniers étant tout de même indispensables pour renouveler le stock de fans. Donc oui, Il est réjouissant de voir une série Star Trek bien dans son époque visuellement parlant, même si cela apporte inévitablement des décrochages graphiques entre les séries (un peu comme Star Wars III et IV)". Sébastien valide : "Incontestablement ça fait du bien ! Il n’y a qu’Enterprise qui avait bénéficié d’un traitement visuel digne de ce nom. Là on a enfin une série moderne qui peut rivaliser avec le cinéma. On ne va pas s'en plaindre. Mais faut être clair, si le fond n’est pas digne de l’héritage laissé par les 5 précédentes séries, les fans ne se satisferont pas juste de la forme, aussi belle soit-elle !"

"Ils prennent le risque de plein d’incohérences avec la chronologie établie"

Pour les Trekkies, il est en effet essentiel de respecter, avant toute chose, la mythologie de la saga, son histoire, ses références. En ce sens, Discovery a pris quelques libertés qui agacent certains fans de la première heure. "Le problème vient du fait que Discovery doit faire avec 50 ans d’histoires Star Trek et une trilogie au cinéma qui laisse un goût bizarre, dans sa volonté de rebooter la chronologie établie dans un univers alternatif. Déjà, c'est difficile de savoir dans quel univers situer la série : l'original ou l'alternatif ?", s'interroge Sébastien. "Les producteurs ont choisi de l’insérer entre deux séries. C’est osé de venir se greffer dans cet entre-deux. Ils prennent le risque de plein d’incohérences avec la chronologie établie. Et croyez-moi les fans de Star Trek aiment la logique et la cohérence (...) Et puis visuellement c’est compliqué d’avoir un prequel censé se passer 10 ans avant la série originale, et qui sonne tellement plus moderne que la série originale."

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Martial, lui, pointe du doigt une grosse incohérence "au niveau de l'apparence des Klingons : en effet l'histoire se déroule en 2254 soit une dizaine d'années avant le périple de Kirk et de son équipage. Comment alors expliquer ce changement radical d’apparence des Klingons dans les épisodes de la série originale ? (...)  La cohérence chronologique, c'est ce qui me dérange le plus ici. Notamment la technologie à bord du vaisseau U.S.S. Shenzhou, qui est bien trop évoluée par rapport à celle de la série originale, qui se situe, je le rappelle, en 2265, soit une dizaine d'années après !" Dans le même genre, Olivier s'est amusé à recenser plein de petits détails, qui ont certainement fait sursauter plus d'un Trekkie dans le monde : "Il y a ce vaisseau klingon vieux de plusieurs siècles qui peut taper facile sur un vaisseau dernière génération de Starfleet ! Il y a ce personnage principal qui arrive premier officier, sans jamais être passé par Starfleet (non, mais allô...). On nous montre une communication holographique censée n'apparaître qu'un bon siècle plus tard. Et puis ils n'utilisent pas de traducteur universel, alors qu’il existe un siècle plus tôt !"

"Savoir si Discovery est Star Trek ou pas, cela ne se résume pas au design des Klingons ou du vaisseau"

Indéniablement, Discovery n'est pas exempte de tout rapproche et s'est installée aux forceps, dans l'histoire générale de la saga. Mais respecte-t-elle au moins les préceptes fondamentaux de la franchise, chers à Gene Roddenberry ? "On a bien vu l’idéal de Starfleet au travers du Capitaine Georgiou (Michelle Yeoh), « Starfleet doesn’t fire first » (« Starfleet ne tire jamais en premier ! »)", analyse Guillume. "Donc je pense que l’idéal sera respecté tout en servant efficacement le show. Je suis confiant". Olivier et Sébastien estiment qu'il est encore un peu tôt pour le dire, mais "j’imagine qu’avec la présence de son fils dans l’équipe de production (Eugene Roddenberry), celui-ci y veillera". Quant à Martial, il est nettement plus circonspect : "Autant nous sommes dans l'esprit éthique si cher au créateur, à savoir le respect de la vie, le dévouement des officiers... Autant cette série s'en éloigne par son atmosphère sombre et son esprit trop va-t'en guerre, sans s'attacher pour l'instant à l'exploration et à la diplomatie."

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Star Trek Discovery est donc encore loin d'avoir conquis le coeur des Trekkies. Nombreux sont ceux qui reprochent déjà la série CBS d'être trop éloignée de l'esprit de la franchise. Et on peut même lire certains messages, sur les réseaux sociaux, affirmant que qui si Discovery est une belle série SF, elle n'est pas Star Trek. Une vision que comprend parfaitement Sébastien : "Savoir si Discovery est Star Trek ou pas, cela ne se résume pas au design des Klingons ou du vaisseau, ou au rythme ! Star Trek, c’est une philosophie basée sur l’exploration, la compréhension de l’univers, de l’autre et de soi. C’est une série avant-gardiste avec des valeurs, un message humaniste et qui s’attaque à plein de thématiques sociales. Il faut se rappeler que Star Trek, c’est la première série à oser diffuser un baiser inter-racial dans les États-Unis des années 60 ! J’attends d’un épisode de Star Trek qu’il me fasse réfléchir, pas juste admirer l’esthétique. Ce n’est pas une simple série d’action dans l’espace. C'est d'ailleurs globalement le reproche que l’on pouvait faire aux films de J.J. Abrams". 

"Bien sûr que je veux voir la suite !"

Guillaume ne partage pas ce point de vue et avoue "beaucoup aimer" la Kelvin Timeline (celle des films de J.J. Abrams et Justin Lin). "Maintenant, beaucoup de gens ont leur vision de Star Trek, et des attentes tellement précises... Alors quoi que la franchise devienne, ils seront toujours là pour hurler à l’injustice." Olivier poursuit cette idée : "Quand c’est une armée de fans qui pense pouvoir définir le canon de Star Trek, vous finissez inéluctablement avec autant d’avis que de fans. De là, quelque soit le choix que vous effectuerez en tant que responsable de la franchise, vous finirez avec un lot conséquent de mécontents. Et ce sont toujours les mécontents qu'on entend le plus..." Il n'empêche, Martial comprend l'agacement de certains Trekkies, devant Discovery : "Nous avons vu certaines scènes inappropriées au concept Star Trek dans ces premiers épisodes (insubordination du premier officier, attaque physique de celui-ci envers son capitaine, mort du Capitaine dès le début de l'histoire...) Et puis il est toujours difficile d'adhérer rapidement à de nouvelles aventures, basées sur une série télé, surtout si celle-ci date des années 60 ! Ce fut la même chose pour Star Trek : The Next Generation. Et puis cette série est devenue, avec le temps, l'une des meilleures de toute la franchise..."

Star trek discovery officiers
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Et ce sera peut-être le cas aussi de Discovery, dans 30 ans. Ce qui est certain, c'est que notre quatre Trekkies seront bel et bien devant le petit écran, pour voir la suite de l'histoire. "Bien évidemment que oui", s'enthousiasme Guillaume, impatient de découvrir les prochains épisodes. "Et avec un plaisir supplémentaire", rajoute Olivier, "celui de devoir attendre chaque semaine. J’aime cette sacralisation de l’attente, comme au cinéma." Sébastien est moins enthousiaste, mais sera là malgré tout pour la suite de la saison 1 : "Je suis intrigué. Je pense même que la série va vraiment commencer avec le 3e épisode. Nous n’avons eu à mon sens qu’une introduction (...) J’espère que l’aventure du Discovery ne fait que commencer." Et Martial de conclure dans un large sourire : "Bien sûr que je veux voir la suite ! D'abord parce qu'il a fallu attendre douze années avant de revoir une nouvelle série. Et puis pour mieux comprendre la naissance du conflit avec les Klingons (...) La série originale ne rencontra pas tout de suite le succès escompté et elle a même failli s'arrêter à la fin de la deuxième saison. C'était sans compter les protestations des fans. La suite tout le monde la connaît. Alors justement, attendons la suite..."