Xavier Dolan
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"Hayao Miyazaki disait que faire des films n’apportait que de la souffrance. Et c’est un peu vrai."

Dans les pages du nouveau numéro de GQ France, le comédien Lucas Bravo (Emily in Paris) interoge un réalisateur de son âge, Xavier Dolan. Devenu acteur très jeune, il a fait sensation en réalisant des œuvres très personnelles dès la vingtaine, pour lesquelles il a reçu de multiples prix, notamment au festival de Cannes pour Mommy (2014) et Juste la fin du monde (2016). C'est d'ailleurs sur la Croisette, en présentant leurs films, que les deux hommes se sont rencontrés et sont devenus amis.

Leur discussion a lieu à distance, l'un vivant au Canada et l'autre en France, et Dolan se confie sur sa carrière et sur son envie de prendre sa retraite, avant même de fêter ses 35 ans. Ce qui amène son pote à lui demander ce qui le "pousse à devenir le plus jeune retraité du cinéma ?"

"Je ne m’attendais pas à cet écœurement, cette lassitude, répond celui qui est ressorti épuisé de la fabrication de sa première série, Le jour où Laurier Gaudreault s'est réveillé. Je n’ai aucune amertume mais je me détache. Je n’ai plus l’envie. Je suis trop passionné par mon métier pour être confronté au manque de passion et de rigueur d’autres personnes qui interviennent plus tardivement dans la vie d’un film. Trop de passion pour affronter le fait que les gens ne veulent pas se déplacer pour voir mon film ou s’abonner à une chaîne pour regarder ma série. Je ne veux plus être confronté à ces informations. Hayao Miyazaki disait que faire des films n’apportait que de la souffrance. Et c’est un peu vrai."

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Xavier Dolan réagit alors au fait que le dernier film du maître de l'animation japonaise, Le Garçon et le héron, soit sorti sans promotion au Japon : "Je ne peux pas faire ça. Pour qu’on parle d’un film, il faut voyager, en parler, donner des interviews, supporter qu’on me demande encore et encore comment l’idée d’un film m’est venue... Ça ne m’intéresse plus. Ça m’intéressait quand l’urgence du prochain projet était tellement forte que ça me faisait oublier la création de cette habitude."

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Au fil des questions de Lucas Bravo, on comprend que Dolan a toujours voulu faire du cinéma qui compte, et qui lui ressemble. "J’aime l’idée de pouvoir changer des choses avec les films, d’aller contre l’étroitesse d’esprit de certaines personnes, explique-t-il notamment. Le dénominateur commun de mes films reste le même : 'C’est nous contre eux, la marge contre la norme'. Je pense qu’il y a une corrélation entre mon abandon du cinéma et mon abandon du monde en général. Récemment, j’ai été à Londres pour tourner une pub. J’ai l’habitude de lire Apple News quand je me réveille le matin. Je n’y vois que des mauvaises nouvelles, tout le temps. Le monde brûle, notre civilisation arrive à son terme. La planète va se reconstruire mais nous, humains, on arrive à la fin d’un chapitre. On se dirige vers un changement monumental de notre existence et beaucoup restent dans le déni. Ça me fait perdre énormément d’espoir en notre humanité. L’idée de faire un film pour le cinéma devient tout d’un coup très ridicule."

Sur sa manière de percevoir le métier de réalisateur, il justifie aussi son envie de tout contrôler sur les propres films : la mise en scène, bien sûr, mais aussi la musique, le montage, la photo... ainsi que le jeu, puisqu'il s'offre souvent un (premier) rôle.

"Je fais des films pour parler de ce qui me dérange, analyse Xavier Dolan. Ce qui me trouble personnellement ou chez les autres. Mes films sont toujours thérapeutiques, mais ce n’est pas forcément pour exorciser des traumatismes personnels. Tu disais que j’avais du mal à déléguer. En fait, je suis un metteur en scène, ce qui implique de contrôler tous les éléments. Travailler en équipe et avoir une vision qui est propre à soi. Plusieurs visions s’entrechoquent quand tu crées un film : celle d’un directeur photo, d’un directeur artistique, d’un compositeur... Tous les metteurs en scène que j’aime touchent à tout. Qu’un réalisateur puisse penser que 'les costumes, c’est un truc de meufs', pour moi, c’est de la merde. Un metteur en scène qui ne s’intéresse pas à tous les aspects d’un film n’en est pas vraiment un. Je ne comprends pas comment on peut signer un film sans assumer tous les choix qui y sont faits. Je délègue mais je décide de tout parce que c’est mon film. Tout comme un peintre choisit ses huiles, ses pinceaux..."

Dolan revient aussi au cours de cet échange sur ses discours forts fait à Cannes, notamment quand il a dit sur scène, en étant honoré du Grand prix pour Juste la fin du monde : "Tout ce que je fais dans la vie, c’est pour être aimé". "Quand tu ne sais pas exactement qui tu es, quand tu es lancé dans l’arène publique à un jeune âge comme je l’ai été, tu essaies d’impressionner, commente-t-il à présent. Tu cherches cette espèce de performance, être validé par d’autres. Avec le temps et l’âge, j’ai réalisé que je n’avais pas besoin d’impressionner les gens. Je crois que j’ai fini par les trouver au moment où je suis devenu simple. Ça prend du temps pour le réaliser."

L'interview complète de Xavier Dolan par Lucas Bravo est à lire ici.

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