Fred Cavayé, réalisateur du Jeu : "La première qualité d’un film populaire est de ne pas chercher à être populaire"
"C’est compliqué de définir le cinéma populaire. Des films considérés comme populaires il y a quarante ans passent désormais à la Cinémathèque. Prenez Le Chat de Pierre Granier-Deferre : il aurait peut-être le prix Jean Vigo de nos jours. Je pense que le cinéma grand public d’aujourd’hui peut prétendre à cette postérité à la condition que les choses soient faites avec une grande sincérité. La première qualité d’un film populaire est de ne pas chercher à être populaire. Personnellement, j’ai envie de raconter des histoires. Drôles ou tristes, peu importe, le genre vient avec. Tout le monde pense que j’ai fait Radin ! pour de mauvaises raisons alors que je suis responsable de tout, y compris du titre ! (Le film s’appelait Coûte que coûte à l’origine)."
Propos recueillis par Christophe Narbonne.
Gilles Lellouche, réalisateur du Grand bain : "On a fait du mal à ce mot"
"Le problème c’est que le terme 'populaire' est souvent associé à du gros truc approximatif qui tache. On a fait du mal à ce mot. Au même titre qu’il y a de grands tubes pop légendaires, il y a à côté des tubes de l’été produits à la chaîne. En ce moment, on a l’impression que c’est la deuxième catégorie qui domine. Mais il y a également trop de films intimistes qui ne parlent à personne... La vérité du cinéma, de mon point de vue, est à la confluence de ces deux extrêmes. (…)"
A propos de ses échecs post-Les Infidèles (2012) : "Je dis toujours du succès qu’il est un ennemi. La fainéantise vous guette, vous allez vers des choses trop évidentes. (…) J’ai commencé à écrire Le Grand Bain avant cette période "tumultueuse", mais avec le désir profond d’exprimer mon goût pour le cinéma, de ne pas être un simple passeur de plats. J’avais le sentiment d’être dans un malentendu permanent, d’être à côté de moi. (…)"
A propos de la sélection du Grand bain hors compétition à Cannes : "C’était flatteur qu’ils nous prennent. Très flatteur. 'On a tous besoin d’une médaille' comme dit Virginie Efira dans le film."
Propos recueillis par François Grelet et Christophe Narbonne.
Pierre Salvadori, réalisateur d’En liberté : "C’est vrai que la comédie règne sur le cinéma populaire en France"
"Je conçois ma mise en scène en pensant uniquement aux spectateurs, à leurs attentes, à la manière dont je peux les surprendre, etc. L’idée du public est omniprésente dans tout le processus de création. Cependant, j’ai beau penser aux spectateurs, je ne pense jamais aux entrées. Du coup, est-ce que je fais vraiment du cinéma populaire ? Bonne question... Je ne crois pas. (…) Il faut que je réfléchisse un peu là... Disons qu’un film populaire c’est un objet conçu autour d’une star pour rassembler un maximum de gens. Donc oui c’est un genre, avec des codes assez précis, et un auteur pourrait presque se frotter à cette notion en essayant de la sublimer. D’ailleurs, ça a peut-être déjà été fait. En tout cas pour moi, le prototype du genre populaire, ce sont les films de Belmondo dans les années 70-80. (…) Il y a des films dont la popularité est un accident et d’autres dont c’est le but premier – ce qui ne rend pas le genre très noble à mes yeux."
Un film populaire réussi qui lui sert d'exemple ? "Je ne veux pas avoir l’air de snober le genre : quand Chabat fait son Astérix, il y a une réflexion très intéressante autour de Goscinny. C’est quoi l’humour de Goscinny ? Comment le remettre au goût du jour ? Comment reformuler son sens très particulier de la narration en langage cinéma ? C’est fou de retrouver ce genre de prouesses dans un film conçu pour toucher le plus large public. On ne mesure pas à quel point sa démarche était courageuse. Et payante, puisqu’aujourd’hui c’est le volet le plus aimé de la saga, celui qui s’installe durablement dans le temps. Mais c’est rare dans l’histoire du cinéma français, presque une anomalie. Chabat a en quelque sorte détourné une commande en y posant sa patte. Pour que ça me convienne, il faudrait qu’il y ait un jeu autour, qu’on puisse pervertir le truc. C’est difficile à expliquer, mais il faudrait que ça gratte un peu quelque part. Je ne pourrais pas tourner tel quel le script de La Famille Bélier, même si c’est très efficace dans son genre."
Le genre "populaire" est-il cantonné à la comédie ? "Peut-être parce que l’industrie manque de bons metteurs en scène de polars. C’est vrai que la comédie règne sur le cinéma populaire en France, qu’elle avale tout sur son passage, mais il faut des metteurs en scène si on souhaite que ça change."
A propos des Apprentis, son film avec François Cluzet et Guillaume Depardieu sorti en 1995, considéré aujourd'hui comme son plus populaire, alors qu'il avait attiré "seulement" 600 000 spectateurs au cinéma à l'époque : "C’est un drôle de truc quand les gens viennent vous remercier pour un film. C’est gratifiant, incroyablement agréable et ça dépasse le rationnel. Ils vous disent : 'Ça m’a fait du bien, ça m’a aidé', comme si vous aviez un pouvoir que vous ignoriez. C’est dur d’en parler..."
Propos recueillis par François Grelet.
Marc-Etienne Schwartz, producteur de Chacun pour tous : "Il y a une envie de pédagogie, d’éveil des consciences et de réconciliation"
"Plutôt que de cinéma populaire, terme qui ne correspond à rien de précis, je préfère parler de grandes histoires qu’on partage en famille. Dans ma démarche de producteur, il y a une envie de pédagogie, d’éveil des consciences et de réconciliation. J’espère par exemple que Chacun pour tous changera le regard des gens sur la déficience mentale comme Intouchables a pu le faire autour du handicap physique."
Propos recueillis par Christophe Narbonne.
Marc-Etienne Schwartz, producteur de Chacun pour tous : "Il y a une envie de pédagogie, d’éveil des consciences et de réconciliation"
"Comme il est beaucoup question de communautés dans le film (africaine, chinoise, arabe, hispanique), je ne me suis jamais senti perdu. J’étais enraciné. On revient toujours au cinéma qu’on sait faire, on ne le réinvente pas sur le plateau. Même avec des sujets populaires, il y a un besoin de sincérité, de réalisme. Je savais par ailleurs que je pouvais compter sur Omar pour rester dans les clous de la comédie, qui m’était étrangère."
Propos recueillis par Christophe Narbonne.
Un genre ou des chiffres ? On a posé la question à Gilles Lellouche, Pierre Salvadori, Rachid Bouchareb...
Dans le 489e numéro de Première, nous consacrons un dossier au "cinéma populaire". Mais qu’est-ce que c’est exactement ?
Par François Grelet
Retour sur quelques concepts-clé avant de donner la parole à des réalisateurs. Tout d’abord, le Cinéma n’est-il pas populaire par essence ? Les films sont très chers à fabriquer (ils se doivent donc de rallier), pas si chers à consommer (ils s’adressent donc à toutes les couches sociales) et sont diffusés, en tout cas jusqu’à présent, dans de grandes salles où le peuple communie dans le noir et à l’unisson. Le cinéma fédérerait donc par nature (c’est son programme) autant que par nécessité (c’est une industrie). Néanmoins, si l’horizon de tout long métrage est effectivement d’être vu par le plus grand nombre possible, les films ne naissent pas populaires, ils le deviennent.
Ne serait-ce alors qu’une question de chiffres ? Le carton public, c’est simplement la toute première case à cocher pour faire partie du club. Ces derniers temps, les films populaires ne peuvent être que des comédies ? Si l’on s’en tient purement au box-office, elles trônent effectivement en tête depuis trois décennies. Le dernier drame local à avoir dépassé les 5 millions d’entrées : La Môme en 2007 ; dernier polar gaulois à avoir dépassé la barre des 3 millions : Les Rivières pourpres, il y a dix-huit ans de cela (auquel on peut ajouter Ne le dis à personne, qui a tout juste atteint ce score en 2006). Cette absence de diversité ne s’est pas faite sans dommages collatéraux, en particulier celui-ci : à force de photocopier ad lib. Les mêmes schémas, les mêmes affiches, les mêmes castings et la même idéologie TF1, on a fini par assimiler 'populaire' et 'popu' (une sorte de double maléfique sans âme ni noblesse). On peut désormais engranger 10 millions d’entrées avec un film que personne n’aime, c’est la fameuse jurisprudence des Bronzés 3. Compliqué dès lors de savoir où se loge la notion de 'popularité' à l’intérieur de ces objets-là.
A l’heure où les César lancent leur prix du public, donné justement en fonction du box-office, nous avons cherché un exemple de réalisateur de films populaires qui parvient à sortir de toutes ces cases. La Cinémathèque consacre depuis quelques jours une exposition à Jean-Paul Rappeneau (Le Magnifique, Cyrano de Bergerac…), qui prouve bien que le cinéma populaire français peut aussi être synonyme de prouesses permanentes, de paris de mise en scène stupéfiants et de moments de grâce sidérants. Rappeneau est devenu un cinéaste populaire non pas parce que ses films cherchaient à attirer le grand public mais parce qu’ils étaient aimés du public (et le sont encore).
Un statut que tentent d’atteindre en ce mois d’octobre 2018 Gilles Lellouche, avec Le Grand Bain, Fred Cavayé grâce au Jeu ou encore Pierre Salvadori, le créateur d’En liberté. En parallèle, Marc-Etienne Schwartz produit Chacun pour tous, un feel good movie quelque part entre La Famille Bélier et Rasta Rocket, et Rachid Bouchareb, acclamé pour son drame Indigènes, sorti en 2006, change radicalement de registre avec Le Flic de Belleville, un buddy movie à l'américaine porté par Omar Sy et Luis Guzman. Nous leur avons donc demandé leur définition du "cinéma populaire". Extraits.
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