Rencontre avec le réalisateur d'un des meilleurs films américains de l'année.
Manchester by the sea restera comme le film d’une résurrection. S’il est beaucoup question de deuil et de morts brutales dans l’intrigue (c’est l’histoire d’un homme mutique joué par Casey Affleck qui, suite au décès de son grand frère, se retrouve soudain en charge de son neveu de 16 ans), le film, lui, signe la renaissance d’un cinéaste donné pour mort il y a quelques années à peine. Révélé au début des années 2000 avec Tu peux compter sur moi, protégé de Martin Scorsese (il collabora au script de Gangs of New York), Kenneth Lonergan vit son monde s’effondrer au cours de la post-production infernale de son second film, Margaret, devenu au cours des années 2000 l’objet d’un bras de fer juridique entre lui et la Fox. Le cinéaste, avec le soutien de Scorsese, s’accrochait comme un damné à son directors cut, tandis que le studio sabotait la sortie du film et laissait pourrir l’affaire devant les tribunaux. Mais tout a fini par rentrer dans l’ordre : Margaret est aujourd’hui visible en DVD dans la version souhaitée par son auteur, et a même fini par devenir culte (il est 36ème de la fameuse liste BBC des « meilleurs films du XXIème siècle »). L’accueil critique dithyrambique de Manchester by the sea aux Etats-Unis confirme que Lonergan a fini de remonter la pente. Non content de pouvoir envisager la suite de sa carrière plus sereinement, il vient de signer l’un des meilleurs films américains de l’année. Conversation avec un revenant.
Cinq choses à savoir sur Manchester by the Sea
Bonjour Kenneth Lonergan, je me demandais combien de journalistes avant moi vous avaient parlé de Margaret aujourd’hui…
Euh…. Tous ! Sans exception. Ah ah ah ! Mais ça me fait très plaisir, vous savez.
Après des années de batailles juridiques, le film a fini par sortir et devenir culte. Quel regard portez-vous sur toute cette affaire ?
Je suis juste heureux que des gens aient fini par voir le film et l’aimer. L’espace d’un instant, vous savez, j’ai cru qu’il ne sortirait jamais. C’était douloureux, frustrant, perturbant, énervant mais, finalement, Fox Searchlight a sorti la version longue, on m’en parle régulièrement, l’histoire s’est donc conclue par un happy end. Il y a tellement de cinéastes qui tournent sans aucun souci et qui sortent leurs films dans l’indifférence générale ! (Rires) Finalement, je crois que ma situation est plus enviable.
En France, le film n’avait eu droit qu’à une sortie technique très confidentielle en 2012, sur une seule copie, à Paris. Mais à Première, on avait quand même fait un papier de quatre pages sur le film. Rétrospectivement, c’est un gros motif de satisfaction pour nous…
Oh, j’apprécie, merci. Je ne comprends toujours pas pourquoi Fox continuait de saboter la sortie du film dans des pays comme la France alors que mon directors cut était déjà disponible en DVD. Ils devaient vraiment être très en colère contre moi !
Toute cette histoire, apparemment très violente, ça a changé votre regard sur l’industrie ?
Oui. Ça m’a rappelé qu’il faut être prudent, rusé, diplomate. Ou alors beaucoup, beaucoup plus puissant que je ne le suis… Je savais tout ça à la base mais je l’avais oublié en cours de route. C’est normal que les gens qui mettent de l’argent dans un film aient besoin d’avoir des gages en retour. Mais moi, ce que j’aime, c’est travailler dans mon coin, tranquillement. Au final, on voulait tous la même chose : faire un bon film qui puisse avoir du succès. Mon erreur est de ne pas avoir réussi à les rassurer. J’ai appris depuis à être moins récalcitrant, moins provocant. A calmer les esprits et à associer les gens à mes décisions.
Manchester by the sea a-t-il été un projet facile à monter ? Ou est-ce qu’au contraire vous avez senti que l’affaire Margaret vous avait fermé des portes ?
Oh non, pas du tout. J’ai l’impression que pas mal de gens dans l’industrie se sont dit que si j’étais capable de passer cinq ans de ma vie dans un tel bras de fer, ça voulait sans doute dire que j’aimais beaucoup le cinéma. Et les gens qui aiment le cinéma ont envie de travailler avec d’autres gens qui aiment le cinéma. Du coup, Manchester by the sea a été assez facile à financer.
Au cœur de Manchester by the sea, il y a un flashback qui fait l’effet d’une déflagration émotionnelle hallucinante. Mais moins on en sait, mieux c’est. Vous redoutez les spoilers sur ce film ?
Un peu, même si ce n’est pas non plus un thriller ! (Rires) C’est l’histoire d’un homme qui a quitté sa ville natale suite à un drame, et le film est sans doute plus fort en effet si on le découvre vierge de toute information supplémentaire. Jusqu’à présent, les critiques ont été très discrets, très délicats. J’aime cependant me dire que c’est le genre de film qui souffre plusieurs visionnages. Qui est peut-être même plus intéressant la deuxième fois.
Ce choc émotionnel placé au cœur du film, c’était l’idée-force du projet dès le départ ?
Non, en réalité ça s’est presque fait de manière accidentelle. Au début, le spectateur découvre ce personnage, joué par Casey Affleck, dont le comportement est quand même très étrange. L’idée était de raconter son histoire par petites touches, à coups de flashbacks, au fur et à mesure qu’il parcourt le chemin qui le ramène dans sa ville natale. Et c’est au moment où il comprend qu’il va devoir rester là-bas qu’on assiste à ce long flashback. Je n’ai pourtant réalisé qu’après-coup que ça créait un véritable effet de suspense. Mais ce n’était pas intentionnel, pas théorique.
Ça vous va si on emploie le terme « mélo » en parlant de votre film ?
Hum… je ne suis pas sûr. Dans les années 30 et 40, on appelait les mélos des « three handkerchiefs movie » - si tu n’avais pas utilisé trois mouchoirs au cours de la projection, tu étais en droit de te plaindre ! (Rires) Je préfère le terme « drame », tout simplement. Mélo, ça fait too much, fabriqué, et j’espère que ce n’est pas le cas de Manchester by the sea.
Le film est déchirant, mais aussi extraordinairement bien dosé dans la façon dont il sollicite l’émotion – et les larmes – du spectateur. Comment trouve-t-on le bon équilibre ?
J’essaye d’abord de me faire pleurer moi-même. Non, non, pardon, je retire ce que j’ai dit, ce n’est pas vrai… Disons que j’essaye juste de filmer les scènes les plus vraies et sincères possibles. Si la situation m’émeut, si les acteurs m’emportent, alors je me dis que je suis sur la bonne voie. Je veux à tout prix éviter d’être lourd ou oppressant, parce que la vie n’est pas que misérable et triste. J’ai beaucoup développé le personnage du neveu, pour faire un contrepoint à celui de Casey Affleck. Son père meurt, certes, mais il a des amis, des petites copines, il joue au hockey, il fait de la musique dans un groupe, il a 16 ans et un gros appétit de vivre. Je n’ai pas envie d’assommer les gens avec du pathos gratuit. Ils sont assez misérables comme ça, ils n’ont pas besoin de mon aide ! (Rires)
Bon, notre temps est écoulé, merci monsieur Lonergan…
De rien, merci à vous d’avoir défendu Margaret à l’époque. Les amis de Margaret sont mes amis.
Manchester by the sea sort en salles le 14 décembre. Bande-annonce :
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