Rencontre avec le président d'Adult Swim et le producteur délégué de la série, qui expliquent notamment ce qui va se passer après le départ de Justin Roiland.
Pour célébrer sa première décennie (et peut-être pas la dernière), Rick et Morty a fait le déplacement au Festival du film d'animation d'Annecy, où le président de la chaîne Adult Swim, Michael Ouweleen, et le producteur délégué Steve Levy, organisent un panel intitulé « Rick et Morty" : 10 années d'aventures intergalactiques ». Quelques heures avant, nous les rencontrions sur les bords du lac pour évoquer le destin sans pareil de la série, la saison 7 et évidemment le départ compliqué de son co-créateur, Justin Roiland, qui doublait notamment les personnages principaux.
J'ai pris un sacré coup de vieux quand j'ai réalisé que Rick et Morty avait déjà dix ans...
Michael Ouweleen : M'en parlez pas ! C'est très étrange de se dire que ça fait déjà tout ce temps. Les débuts ne me semblent pas si loin quand j'y pense... C'est extrêmement rare de tomber sur une aussi bonne série qui trouve immédiatement son public. Mais très vite, il a fallu se demander comment conserver cette qualité sur le long terme. Pendant ce temps, la télévision changeait à vue d'oeil, tout comme le public et ses habitudes.
Steve Levy : Ce qui s'est passé en une décennie est dingue. Tous ceux qui participent à la série ont été surpris par sa longévité. La plupart du temps dans cette industrie, si tu peux faire trois ou quatre saisons, t'es déjà content ! On a vu Rick et Morty passer de série de niche sur Adult Swim à un truc international avec des fans partout dans le monde. C'est incroyable.
Vous avez compris pourquoi cette série aux concepts SF complètement fous parle à gens aux quatre coins de la planète ?
M.O : J'imagine que c'est parce qu'au fond, c'est une sitcom familiale. Si on y réfléchit, Rick et Morty parle surtout de la relation entre un grand-père et son petit fils. Même si on décidait d'enlever toute cette histoire de portail interdimensionnel, je suis persuadé que ça resterait une série marrante. Mais en entrechoquant la sitcom et le multivers, alors le résultat devient complètement imprévisible. Je crois que c'est ça qui fonctionne.
S.L. : Il y a aussi un truc lié à l'expérience humaine, qui est universelle. Voir Rick et Morty se confronter aux grandes questions de la vie dont personne n'a les réponses a quelque chose de cathartique. La série dit qu'en fait, on ne veut absolument pas avoir les réponses ! Ca permet de relativiser, de se rappeler qu'il n'y a que le présent qui compte. Donc peu importe si vous êtes Américain, Français ou Japonais : tout le monde est en capacité de comprendre ça. Ajoutez quelques blagues scatophiles, des monstres et des personnages bien écrits, et vous avez un hit (Rires.)
Comment commence l'écriture d'un épisode de Rick et Morty ?
S.L. : Par une idée un peu débile, souvent. Et drôle. Quand un scénariste dans la pièce dit quelque chose qui nous fait marrer, on tente toujours de décortiquer l'idée. Histoire de voir s'il n'y a pas autre chose derrière.
Comme un challenge ?
S.L. : Ouais, tout à fait. Il y a un plaisir à trouver comment monter toute une histoire autour d'une blague débile, ou du moins qui semble parfaitement inoffensive.
M.O. : Parfois, quand je relis les scripts - parce que je les lis tous vu que c'est mon rôle de valider chaque épisode -, je me demande à quel point ils poussent le bouchon juste pour voir comment je vais réagir (Rires.) Mais ce qui me fait dire oui à tout ça, c'est que c'est toujours diablement malin. Que ce soit un truc complètement idiot ou une réflexion sur quelque chose de plus profond, ça n'est jamais fait pour choquer. A chaque fois, ça raconte quelque chose sur la condition humaine. Donc je suis obligé de dire oui !
Vous n'avez jamais rien retoqué ?
M.O. : J'ai parfois refusé certaines choses, mais uniquement parce que j'estimais que ça sapait leur travail et que ça ne mettait pas en valeur l'intelligence du script.
La série est assez avare en fils rouges. Il y a bien des épisodes sur « Evil Morty », la Citadelle et la femme de Rick, mais on sent que vous ne souhaitez pas aller trop loin...
S.L. : Dan Harmon, le co-créateur de la série, a grandi devant les sitcoms des années 70 et 80, où chaque épisode fonctionnait indépendamment des autres. Rien n'était « sérialisé » et ça permettait à une série de tenir bien plus longtemps. Je ne nous vois pas écrire une série avec un fil rouge à suivre chaque semaine, ce serait trop dur. Imaginez dix saisons de ça sur Rick et Morty ! On finirait par faire des épisodes juste pour faire des épisodes et nourrir comme on peut l'histoire. On se mettrait un boulet au pied. Le concept a toujours été de passer d'une aventure à une autre. Par contre, il fallait qu'on sente les personnages évoluer, et c'est là qu'interviennent ces épisodes un peu spéciaux sur Evil Morty ou Rick Prime. Mais toujours par petites touches, sinon on risquerait de trop en dire et on n'aurait plus rien à raconter ! La règle, c'est qu'il faut qu'au moins un épisode chaque saison évoquant la « grande histoire ». Comme ça les gens sont récompensés d'avoir continué à suivre la série. D'ailleurs, on a des très choses très cool en stock pour la saison 7...
Qui sortira en septembre ?
M.O : On ne l'a pas annoncé, mais ce sera cette année. On essaie de garder à peu près les mêmes dates tous les ans.
Justin Roiland ayant été viré, que va-t-il se passer concernant les voix de Rick et Morty et des autres personnages qu'il doublait ?
M.O. : Il sera remplacé au doublage.
Par des imitateurs de sa voix ? Il y en a beaucoup.
M.O. : Non, pas des imitateurs... En tout cas l'idée est qu'on ressente que ce sont les mêmes personnages. Ecoutez : les voix sont évidemment super importantes dans une série d'animation. Et, bien sûr, aucun de nous n'avait envie de vivre ce qu'on a vécu. Mais je suis dans l'animation depuis longtemps, et je sais que ce qui fait une série, ce sont ses différentes parties qui s'assemblent. Si les voix sont à l'évidence un gros morceau, il y a aussi l'écriture des personnages, leur design... J'ai des raisons de croire que la transition va bien se passer.
S.L. : La qualité d'écriture n'a jamais été aussi bonne, et tous les scénaristes sont restés. Je crois que personne ne va sourciller en entendant les nouvelles voix.
Mais est-ce que quelqu'un qui regarde Rick et Morty et qui n'est pas au courant du départ de Justin Roiland pourrait ne pas se rendre compte que les voix ont changé ?
M.O. : Oui, je crois que c'est possible.
Pardonnez-moi d'insister, mais une seule personne remplacera Roiland ?
S.L. : On est toujours dans le processus de recrutement...
M.O. : Mais ça se profile bien. C'est une situation assez unique... Je vais prendre un exemple : y a eu plusieurs grands doubleurs de Bugs Bunny, et j'adore ce qu'en a fait Jeff Bennett. Mais ce n'est pas Mel Blanc ! Et pourtant on reconnaît le personnage. Je pense même que pour Rick et Morty on va faire encore mieux... Ca va aller. Ca va être super.
Pour rester sur le sujet, comment avez-vous vécu l'éviction de Justin Roiland et le bruit médiatique que cela a généré ?
S.L. : La pilule a été dure à avaler. On a été choqués et perturbés par ce qui s'est passé. Mais on est restés soudés et on a mis toute notre énergie dans la série. On a décidé de rester positifs, et au final on a produit les meilleurs dessins, scénarios et animations de toute la série. Et Dan Harmon [le co-créateur de Rick et Morty] a toujours été dans les tranchées avec nous, à chaque étape. Il a toujours un œil sur tout, et parfois ça veut dire qu'il nous demande de réécrire des pans entiers de scénarios, mais pour le bien de la série. Il ne s'est jamais défilé après le départ de Justin.
M.O. : Il n'y a pas de guide sur la façon de réagir à ce genre de choses. Et ce n'est pas normal de vivre ça. Bien sûr que c'est dur, bien sûr que ça fait mal. Mais quand toute une équipe travaille sur une série, la série devient de fait plus importante qu'une seule personne. La saison 7 sera charnière, on le sait, mais j'estime qu'on n'a jamais fait mieux jusqu'ici.
S.L. : Par ailleurs, la saison 8 est déjà entièrement écrite, et on a réussi à tracer une bonne partie de la saison 9 avant la grève des scénaristes. Donc on parle déjà de la saison 10 !
Qui sera la saison finale ? Ou bien vous voulez faire comme Les Simpson et ne jamais vous arrêter ?
S.L. : Bonne question ça, Michael. Réponds, ça m'intéresse !
M.O. : La série y a déjà répondu : « Rick and Morty forever ! » (Rires.)
S.L. : On pourrait continuer à l'infini. La série est un véhicule pour des idées de SF géniales, qui existent ailleurs depuis longtemps. On n'a évidemment pas inventé le multivers, par contre on l'a fait connaître à un public qui ne connaissait pas le concept. On s'inspire de la grande science-fiction et il reste un million d'idées à exploiter. Et même si le multivers est utilisé absolument partout maintenant - au point que ça en devient usant -, on est prêts à rebondir. C'est un challenge surexcitant. Qu'est qu'on pourrait bien faire après le multivers ? Tellement plus, vous verrez dans les prochaines saisons. On veut de l'originalité. On veut repousser les limites.
Les six premières saisons de Rick et Morty sont disponibles sur Adult Swim (compris dans le pass Warner de Prime Video) et sur Netflix.
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