Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
UN SIMPLE ACCIDENT ★★★★☆
De Jafar Panahi
L’essentiel
Jafar Panahi signe un drame par l’absurde en auscultant les rouages machiavéliques du régime des mollahs. A l’aide d’un dispositif ultraléger, la mise en scène parvient à créer des axes de tensions en permanence. Palme d’or méritée de Cannes 2025
Tout commence dans l’habitacle d’un véhicule. Quelque chose est passé sous les roues. Son conducteur sort, le rouge des phares lui donnent l’apparence d’un spectre inquiétant. Ici c’est par le son que va s’opérer la greffe du drame. Bientôt le modeste employé d’un garage croit réentendre les bruits d’une démarche particulière, celle de son bourreau qui l’a torturé il y a quelques années. Mais il convient de rassembler ses anciens partenaires de souffrance pour en avoir le cœur net. Car tous avaient les yeux bandés lors de leur calvaire. Le corps du probable bourreau a été placé dans une boîte en attendant de décider de son sort. Panahi déploie ici un petit théâtre de l’absurde capable de tout renverser en une fraction de seconde. On pense aussi aux Nouveaux monstres dans cette capacité à montrer toute l’absurdité administrative d’un système prisonnier de propre logique. La parole, véritable muscle du film et la toute-puissance du cadre interrogent tout à la fois la violence du pouvoir et la façon dont celui-ci oblige celles et ceux qui en sont victimes à trouver la juste réponse. En cela le dernier plan, merveille de tension expressive, nous laisse sans voix.
Thomas Baurez
Lire la critique en intégralitéPREMIERE A BEAUCOUP AIME
HONEYMOON ★★★★☆
De Zhanna Ozirna
Les premières minutes d’Honeymoon ont tout d’une lune de miel : insouciants et amoureux, Taras et Olya emménagent dans leur nouvel appartement. Mais les contes de fée ne durent qu’un temps, surtout lorsqu’ils s’amorcent à Kiev, en février 2022. Alors que des cartons traînent encore dans le salon, les premières explosions de l’offensive russe retentissent dans la nuit. En décryptant la guerre en Ukraine à l’échelle de ces civils qui la regardent de leurs fenêtres, le film interroge : comment le conflit se vit-il dans l’intimité d’un foyer ? D’une cuisine ? D’une salle de bain ? Dans cet appartement qui se mue en tombe à mesure que le couple s’y emmure, la peur se propage par un remarquable travail du son tandis qu’une sensation d’asphyxie envahit le cadre. Reflet de l’actualité, cet huis clos horrifique remarquablement orchestré prend aux tripes tant son utilisation du médium témoigne d'un acte politique éminemment téméraire.
Lucie Chiquer
PREMIÈRE A AIME
MARCHE OU CREVE ★★★☆☆
De Francis Lawrence
Francis Lawrence transpose à l’écran l’un des textes les plus intrigants de Stephen King. Écrit à 18 ans, ce roman dystopique, profondément marqué par la guerre du Vietnam, décrivait une jeunesse sacrifiée dans un rituel absurde : cent adolescents, tirés au sort, se retrouvent condamnés à marcher sans fin à travers les plaines américaines sous l’œil d’un public fasciné. S’ils s’arrêtent, ralentissent ou tentent de fuir, les militaires qui les encadrent leur donnent un avertissement. Trois avertissements et c’est la mort. A la fin, un survivant est récompensé par le « prix de ses rêves ».
Le film très efficace garde la sécheresse narrative du roman : pas de complot caché, pas de miracle, juste une “longue marche” épuisante où chaque pas rapproche de la tombe. Visuellement, on voit bien que Lawrence revendique l’héritage Hunger Games : caméra immersive, intensité sensorielle, casting jeune et charismatique. Mais là où cette saga ouvrait sur l’espoir et la rébellion, Marche ou crève choisit l’abîme. Un film où l’angoisse du présent se superpose aux fantômes du passé, et où la victoire a le goût amer de la survie nue.
Gaël Golhen
Lire la critique en intégralitéSTUPS ★★★☆☆
De Alice Odiot et Jean-Robert Viallet
Cinq ans après Des hommes, passionnante plongée dans le quotidien de la prison des Baumettes, Alice Diot et Jean- Robert Viallet poursuivent leur exploration du monde de la justice en remontant à la source et posant leur caméra au Tribunal de Marseille, de ses geôles à son prétoire. On pense forcément au Depardon de Délits flagrants. Mais sans que cette ombre soit écrasante. Car en se concentrant sur les affaires de stups – devenue centrales - le duo inscrit pleinement leur documentaire dans notre époque. Et alors que la justice se voit de plus en plus accusée de laxisme, Stups donne à voir, toujours à bonne distance et sans voyeurisme (quand une des juges leur demande de couper, ils s’exécutent) la réalité des faits. Le flegme voire l’humour dont il faut user pour faire son chemin dans le fatras de mensonges des accusés. Et le fait qu’aucun cas ne ressemble à un autre, au fil des audiences, au contraire de ce qu’on pourrait spontanément croire. Une belle claque aux idées reçues.
Thierry Cheze
SOUNDTRACK TO A COUP D’ETAT ★★★☆☆
De Johan Grimonprez
1961. Patrice Lumumba, Premier ministre de la République démocratique du Congo, est assassiné. De cet événement, le documentaire de Johan Grimonprez s’élargit à un vaste éventail de sujets : guerre froide, décolonisation en Afrique, rôle de l’ONU… et impact du jazz dans la géopolitique du pays. Entre jeux d’influences et musique, n’y aurait-il qu’un pas ? C’est ce que démontre le réalisateur en soulignant que Louis Armstrong a été envoyé en tournée dans le pays afin de détourner l’attention du coup d'État soutenu par la CIA. Bien que le rendu très pointu se révèle difficilement accessible pour ceux qui ignorent ce pan de l'histoire, l’expérience de ce patchwork documentaire vaut le détour. Hyperactif, stimulant, intuitif, dense : Soundtrack to a coup d'État opère un amalgame de sons et d’archives illustrant la lutte contre le colonialisme, sorte de mixtape qui fonctionne par association.
Lucie Chiquer
HAPPYEND ★★★☆☆
De Neo Sora
En juillet, on découvrait Neo Sora documentariste avec Ryuichi Sakamoto opus, son beau film consacré à son père compositeur disparu. Et le voici aux commandes de sa première fiction située dans un futur proche au Japon sous la menace d’un séisme ravageur qui rime avec privations de liberté pour protéger les citoyens même malgré eux. Et l’action de cette dystopie se concentre dans un lycée avec une multitude de personnages (que Sora prend le temps de creuser) qui vont pour certains s’accommoder de la situation et pour d’autres se rebeller. Mis en scène avec élégance, Happyend séduit par la manière dont le prisme de l’anticipation lui permet de raconter les dérives de société japonaise, tout particulièrement les tensions que ses dirigeants mettent volontairement sous le tapis (dérives orwelliennes, racisme latent vécu par certains étudiants…) et dont les jeunes générations sont souvent les premières victimes. Un premier opus plus que prometteur.
Thierry Cheze
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PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
MOI QUI T’AIMAIS ★★☆☆☆
De Diane Kurys
C’est l’histoire d’un « vieux » couple de cabots qui - injustice suprême - voit Madame porter le fardeau du poids des années - clopes au bec et verre d’alcool à la main - quand Monsieur, éternel enfant sautillant, séduit tout ce qui bouge tout en revenant inévitablement au bercail. Kurys filme ces incessants va-et-vient comme autant de coups portés à la poitrine de la délaissée. Simone Signoret (Foïs impeccable) extra-lucide et suicidaire est une mater dolorosa censée renvoyer les stigmates de sa résignation à la face d’un Montand navrant et envahissant (Zem avé l’accent) De ce face-à-face entre deux monstres désacralisés pourrait naitre un trouble où la pantomime de la vie empêcherait la vérité souterraine des sentiments. Pour cela, il aurait fallu exposer au grand jour Montand et Signoret sans les enfermer des décors- mausolées qui empêchent l’air de rentrer. Mais le film peine à en révéler autre chose que son masque trompeur. Dommage.
Thomas Baurez
CERVANTES AVANT DON QUICHOTTE ★★☆☆☆
De Alejandro Amenabar
Des Autres à Mar adentro, d’Agora à Régression, difficile de trouver une ligne conductrice dans la carrière d’Alejandro Amenabar sauf dans la manière qu’il a de faire dialoguer ses préoccupations sociétales du moment avec certains de ses films. Tesis (1996) autour du traitement de la violence dans les médias. Lettre à Franco en 2019 alors que l’Espagne se retrouvait politiquement polarisée comme jamais… Son idée de s’emparer de Cervantes en 2025 s’inscrit dans cette même logique. En montrant comment le futur auteur de Don Quichotte, fait prisonnier dans les geôles du Sultan d’Alger, a pu rencontrer dans cet univers hostile d’autres cultures qui ont inspiré son œuvre majeure et l’ont changé à jamais, Amenabar signe une parabole contre la période de repli identitaire actuelle. Le geste est noble, la reconstitution d’Alger, impressionnante. Mais la longueur du récit pousse à des bégaiements et marteler les choses au lieu de les suggérer. Et le film finit par épuiser
Thierry Cheze
LA PLEINE CONSCIENCE DU BONHEUR- UN VOYAGE AVEC LE DALAÏ- LAMA ★★☆☆☆
De Barbara Miller et Philip Delaquis
A 90 ans, le Dalaï- Lama et son destin à nul autre pareil méritait bien un documentaire où il se pencherait sur sa vie. Mais tout à la vénération de leur sujet, Barbara Miller et Philip Delaquis oublient un élément essentiel : le contradictoire. Pour donner du relief à ses propos et pour briser l’aspect trop monocorde d’un film qui a cependant pour lui une grande qualité : ses archives la manière dont le Dalaï Lama s’y replonge et les commente.
Thierry Cheze
PREMIÈRE N’A PAS AIME
A BIG BOLD BEAUTIFUL JOURNEY ★☆☆☆☆
De Kogonoda
Eternal Sunshine of the Spotless Mind n’en finit pas de faire des petits et d’influencer la pop culture. Ce film de Kogonada (After Yang), en est le dernier rejeton en date : une romance à base de SF farfelue et de voyages mémoriels, où un homme et une femme s’étant rencontré à un mariage (Margot Robbie et Colin Farrell), revisitent des moments-clés de leur vie en ouvrant des portes magiques disséminées sur la route qui les ramène chez eux, grâce au GPS magique d’une mystérieuse agence de location de voitures… Le film ne fait même pas l’effort de « vendre » son concept, de lui donner la moindre logique poétique, partant du principe que celui-ci est suffisamment joli pour qu’on ait envie de suivre les personnages dans ces saynètes qui se révèlent toutes à l’arrivée assez banales et larmoyantes. Des petites bulles publicitaires à l’émotion préfabriquée, pleine de couleurs éclatantes, de mignonnerie surjouée et de sourires forcés.
Frédéric Foubert
Lire la critique en intégralitéLA MORT N’EXISTE PAS ★☆☆☆☆
De Félix Dufour- Laperrière
Un groupe de jeunes décide de faire la peau à de riches propriétaires pour renverser le système, mais l’une des terroristes abandonne ses compagnons et s'enfuit dans la forêt. Le Québécois Félix Dufour-Laperrière signe un film d’animation très graphique mais très pénible, jamais très sûr de son gloubi-boulga existentialiste et de son anti- capitalisme éthéré, qui consisterait à tuer les riches (et les vieux), mais pas trop, de toute façon chaque action finira perdue dans les limbes du temps. Bon.
François Léger
Et aussi
Invention, de Courtney Stephens
Sacré- Coeur, de Sabrina Gunnell
Timioche, programme de courts métrages
Les reprises
Avatar : La Voie de l’eau, de James Cameron
Punch- drunk love, de Paul Thomas Anderson
La Reine Margot, de Patrice Chéreau







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