Mystic River
Warner

Honoré au Festival Lumière 2025, Sean Penn incarne depuis quarante ans la rage et la conscience du cinéma américain : acteur électrique, tragédien, rebelle, il brûle chaque rôle jusqu’à en faire exploser l'intensité pure. Best of.

"Les seuls gens vrais pour moi sont les fous, ceux qui sont fous d’envie de vivre, fous d’envie de parler, d’être sauvés, fous de désir pour tout à la fois, ceux qui ne baillent jamais et qui ne disent jamais de banalités, mais qui brûlent, brûlent comme des feux d’artifice extraordinaires, qui explosent comme des araignées dans les étoiles et en leur centre on peut voir la lueur bleue qui éclate et tout le monde fait « Waou » !"

On pourrait croire ces lignes de Kerouac (dans Sur la route) écrites pour décrire Sean Penn - manque de bol, le poète breton-beatnik nous a quittés bien avant que l'acteur possédé entre en scène. 

Mais il y a chez Penn une intensité qui traverse de fait quarante ans de cinoche. Et qui irradie comme une ligne de feu. Rebelle des 80s, tragédien yankee, réalisateur moraliste (un peu trop?) et citoyen indocile, il a fait du doute et de la culpabilité la matière même de son art. Ses personnages portent le poids du monde : fils blessé (Comme un chien enragé), père dévasté (Mystic River), militant solaire (Harvey Milk)... 

Des personnages souvent portés par le même combat : sauver quelque chose d’humain au milieu de la ruine. Alors qu’il est honoré par le Festival Lumière de Lyon, Sean Penn apparaît non plus comme le bad boy d’Hollywood, mais comme une conscience tragique du cinéma US - un acteur qui, de rôle en rôle, aura transformé la rage en compassion, et la douleur en forme de vérité. Ca valait le coup de recenser ses 10 meilleurs rôles - garanti sans Sorrentino ni "full retard" comme aurait dit Kirk Lazarus

10/ Bobby Cooper - U-Turn (Oliver Stone, 1997)

U Turn
PRODUCTION / COLUMBIA TRISTAR / PHOENIX PICTURES

Chez Oliver Stone, Penn s’amuse à saboter sa propre gravité. Il est sale, lessivé, presque grotesque, dans ce film noir aussi poussiéreux qu'absurde. Il joue un loser magnifique, victime de sa propre malchance, et retrouve la verve des grands anti-héros américains - ceux qui tombent, mais continuent de marcher. Inoubliable malgré la présence hallucinatoire de Jennifer Lopez. Accessoirement l’un de ses grands rôles comiques - bien avant le PT Anderson.

9 / David Kleinfeld - L’Impasse (Brian de Palma, 1993)

L'impasse
DR

Al Pacino a décidé de la jouer sobre ? Penn en profite pour faire n’importe quoi, avec son look pas possible, cheveux roux frisés, front dégarni, lunettes sur le nez et de la coke plein les narines. Un manifeste : sa carrière sera clivante ou ne sera pas. 

8/ Terry Noonan - Les Anges de la nuit (Phil Joannou, 1990)

"Les Anges de la Nuit"
DR

Plutôt sobre face à un Gary Oldman survolté, Penn joue un flic-Judas irlandais au cœur pur, infiltré à Hell’s Kitchen pour y trahir ses amis d’enfance. James Gray doit beaucoup aimer ce film. Et Joaquin Phoenix doit beaucoup aimer Sean Penn dans ce film.

7/ Danny McGavin – Colors (Dennis Hopper, 1988)

Colors
DR

Dans un Los Angeles déshérité et multiracial, deux flics enquêtent sur une guerre des gangs. Aux côtés de Robert Duvall qui joue son mentor, Penn incarne la jeunesse nerveuse et arrogante, la brutalité d’une Amérique flic contre flic. Symbole du bad boy Hollywoodien, il est insolent et magnétique. Et derrière la tension, on devine une colère morale : l’Amérique fracturée qu’il ne cessera d’interroger. Le meilleur film de Dennis Hopper ? L'explosion de Sean Penn.

6/ Sgt. Edward Welsh - La Ligne rouge (Terrence Malick, 1998)

Ligne rouge
PRODUCTION / FOX 2000 PICTURES

La guerre selon Malick. Dans ce magma poétique et violent, Penn est l’ancrage, le socle. Un personnage calme et lucide qui voit la guerre pour ce qu’elle est : pas un lieu d’héroïsme, mais un chaos absurde où la nature reste indifférente. Il ne cherche jamais la transcendance, mais traque l’humanité. Sa prestation faite d’équilibre, d’économie et de vérité - où chaque mot pèse le poids d’une vie - éblouit. Résultat : sa meilleure perf chez le cinéaste texan. 

5/ Harvey Milk - Harvey Milk (Gus Van Sant, 2008)

Sean Penn admet qu’il ne pourrait plus jouer Harvey Milk aujourd’hui
S.N.D

Un rôle habité, lumineux, plein d’humour et d’humanité. Pour Gus Van Sant,  Penn n’imite pas le militant de la cause homosexuelle, il tente davantage de le comprendre. Dans chaque regard, chaque sourire, il fait sentir la joie qui était pour Milk un acte politique. Une perf' à Oscars qu'il remporte naturellement en 2009.

4/ Jeff Spicoli - Ca chauffe au lycée Ridgemont (Amy Heckerling, 1982)

Ca chauffe au lycée Ridgemont
DR

La légende commence ici : Penn joue un surfeur abruti et désinvolte, l’idiot magnifique des plages californiennes. Et  déjà il est habité. Derrière la comédie stoner, on perçoit en effet son instinct d’acteur pur, capable de faire exister un personnage par le rythme, la voix et le corps. Premier rôle, mythique et (tiens tiens) adulé par un certain... Paul Thomas Anderson. 

3/ Colonel Lockjaw - Une bataille après l'autre (Paul Thomas Anderson, 2025)

Une bataille après l'autre
Warner

Retour fulgurant de l’acteur - qui s'était fait discret depuis une quinzaine d’année. Dans ce film sous haute tension, il incarne le colonel Steven J. Lockjaw (traduire par colonel Tétanos), un stratège militaire au bord de l’épuisement, hanté par ses victoires et ses trahisons. PTA le filme comme un personnage de cartoon, visage haineux et grimaçant, silhouette claudiquante. Sa tête ressemble à un champ de ruines où chaque pli raconte une bataille gagnée ou perdue. Il retrouve de fait l’énergie, la violence et l’humour de ses débuts avec en plus l’étrange fragilité de son âge.

2/ Brad Whitewood Jr. - Comme un chien enragé (James Foley, 1986)

Comme un chien enragé
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Après avoir assisté à l'assassinat d'un homme, un jeune homme prend conscience de la véritable nature de son père, un chef de gang sanguinaire. Son premier grand rôle tragique dans un néo-noir signé Foley. Face à un père monstrueux (Christopher Walken), Penn brûle de l’intérieur. C’est évidemment un film sur la filiation, la loyauté et la colère et tout Penn est là, à l'état brut. Son intensité physique, presque électrique, deviendra sa signature.

1/ Jimmy Markum – Mystic River (Clint Eastwood, 2003)

Mystic River
Warner Bros.

La quintessence de son jeu, le personnage qui synthétise toutes ses facettes. Ici, Penn incarne un père endeuillé, figure shakespearienne d’une Amérique condamnée à la vengeance. Eastwood filme la rage, Penn lui donne une âme et confirme ce qu’on savait depuis le début : il est l’héritier de Brando, De Niro, Pacino. Mais avec un excès d’intériorité, presque christique, qui prend feu ici. Un grand acteur hollywoodien qui se consume à l'écran. Chez Markum il y a la douleur, la fureur, la morale, la tragédie - toutes les obsessions de Penn fondues en un seul rôle.