La première édition du très ambitieux Paris International Film Fantastic Festival (le PIFFF) ouvre ses portes mercredi. Deux mois avant la dix-neuvième du festival de Gérardmer. Comment ces deux festivals vont-ils coexister ? Se prépare-t-on à une saine complémentarité ou y-aura-t-il du bourre-Pifff en perspective ? Enquête au royaume des festivals fantastiques   Festival européen du film fantastique de Strasbourg, Utopiales (Nantes) Seconde zone (Le Mans), Extrême cinema (Toulouse), Bloody week-end (Audincourt)… On ne compte plus les festivals et manifestations apparus récemment en France autour du cinéma fantastique. Mais un nouveau venu vient cette année bousculer la donne : le Paris International Fantastic Film Festival alias le… PIFFF. « On avait deux possibilités : soit un nom un peu harmonieux comme Fantasia (NDR : le mythique festival de Montréal), soit quelque chose de plus administratif. Cette seconde option l’a emporté. On a rajouté l’initiale de Paris à un acronyme déjà connu dans le milieu des festivals, IFFF, utilisé à Bruxelles (BIFFF) ou Neuchâtel (NIFFF). Ce n’est pas innocent». Celui qui nous explique l’origine du nom bizarre de ce festival fantastique n’est pas un inconnu : Cyril Despontin, délégué général de la manifestation, a monté il y a quelques années à Lyon une édition locale de L’Etrange festival – transformé depuis peu en Hallucinations collectives. Mais cette fois-ci, il est passé à la vitesse supérieure. Associé à Fausto Fasulo, rédacteur en chef de Mad Movies, il a voulu renouer avec la grande époque du Festival du Rex, mythique rendez-vous disparu depuis 1989. « Ca reste historiquement le premier festival de cinéma de genre en France. Le Rex s’est arrêté et a du coup privé un bassin de population, qui n’a pas le temps de se rendre dans les festivals en province, et qui a un véritable appétit pour ce cinéma. Il était logique que Paris se dote  à nouveau d’une manifestation comme le PIFFF ». Sauf qu’entre temps, un autre festival à repris l’héritage du Rex : Gérardmer.  La Guerre est déclarée ?Aux commandes de Gerardmer depuis des années, Bruno Barde, également responsable du Public Système Cinéma, ne fait pas de cadeau à ce nouveau concurrent : « Sincèrement ? Je m’en fous. Gérardmer existe depuis dix-sept ans, dans la continuité d’Avoriaz. Ca fait donc trente-sept ans que Lionel (NDR : Chouchan, le patron du Public Systeme) puis moi y travaillons. C’est pareil pour le festival de Marrakech : on en voit apparaître d’autres, à Doha, à Dubaï, mais le seul festival du monde arabe qui compte, c’est celui de Marrakech. Quand je regarde ce qu’on a fait au fil du temps sur Gérardmer, en ce qui concerne la programmation, les hommages, les découvertes, je me dis juste : « qui m’aime me suive ». Je suis ravi qu’il y ait d’autres festivals qui naissent ; on vit à une époque où le cinéma n’a plus la place qu’il devrait avoir. La logique est simple : plus il y a de festivals, plus on montre des films aux spectateurs, plus on a des chances que les gens aiment le cinéma. Je suis pour cette prolifération. A condition que ces festivals aient une vraie programmation, une recherche artistique, une volonté de transmettre une culture. Les festivals prétexte, uniquement créés pour dynamiser une ville et confiés à des gens qui ne sont pas cinéphiles, ce n’est pas terrible ». Un tacle dans les tibias des nouveaux venus ? Ce ne serait pas le premier en tout cas. Fausto Fasulo : « Je reste sidéré par le manque total de solidarité qu’il y a entre les festivals en France. L’annonce de la création du PIFFF a été mieux accueillie à l’international qu’ici, alors que la notion de concurrence entre nous reste relative : nous ne sommes pas dans les mêmes villes, ni aux mêmes dates. On serait même plutôt complémentaires parce qu’on a le même but : faire exister un genre, le faire sortir de son ghetto. On pourrait s’entraider, par exemple en se filant des tuyaux pour l’accès à des copies ou aux distributeurs…Mais en fait tout le monde se tire la bourre. Je ne m’attendais évidemment pas à ce qu’on soit accueillis à bras ouvert pas les autres festivals de fantastique en France, mais de là à ce qu’on nous regarde de travers… Le seul retour positif qu’on ait eu est venu de Fred Thibaut d’Extrême cinéma à Toulouse. Alors qu’il se tient une semaine avant nous ! ».   Un festival à ParisPour le moment Gérardmer et le PIFFF n’ont pas encore sorti les armes. Leurs rapports sont pour tout dire… inexistants. Fausto Fasulo : « Nous n’avons eu aucun retour officiel du Public Systeme sur la création du PIFFF. Ni mail de félicitations… ni menaces. Mais on n’avait pas à attendre leur feu vert pour se lancer ». Côté Public Systeme, le discours officiel serait même plutôt bienveillant : « Je n’y vois aucune concurrence. Juste un festival qui se crée à Paris. Et c’est une bonne chose, parce qu’on a la preuve avec Paris cinéma, qu’un événement multiforme ne peut pas marcher, que certains films ne peuvent pas y trouver la place d’exister. En revanche, un festival thématique dans cette ville à tout pour réussir, parce qu’il y a ici, une vraie demande du public ».  Cyril Despontin est sur la même longueur d’onde :  « L’idée est surtout de proposer un festival fédérateur et exigeant en terme de programmation. Le choix de Paris ? Le gens veulent ce type de manifestation dans la capitale. Le reste n’a été que pragmatique  : on était dépendant du Gaumont Opera, notre salle, pour le choix des dates. Et autant pour le cliché que par opportunisme, on misait sur la période d’Halloween, parce qu’elle était évidente. Pour des raisons de programmation du Gaumont on a dû déplacer la manifestation à la fin novembre. Mais il n’a jamais été question de damer le pion à tel ou tel autre festival en France. La seule stratégie qu’on ait pu avoir était de mettre Paris dans l’intitulé de ce festival : on savait que ça allait créer un déclic auprès des distributeurs, mais aussi des vendeurs internationaux ».  L’accès aux filmsFinalement, pour un festival cinéma, l’enjeu n’est pas géographique mais réside d’abord dans l’accès aux films. De ce point de vue là, Cyril Despontin est confiant sur la cohabitation pacifique avec Gerardmer : « Vu l’ampleur de la production fantastique, il y a moyen de ne pas se marcher sur les pieds. On est à la sortie du virage Venise, Toronto, Sitgès, ce qui est idéal pour nous, parce que ça veut dire qu’on aura pu trouver là-bas des films achevés, accessibles pour le marché français. Gérardmer a largement de quoi jouer sur des avant-premières de films qui seront apparus entre temps». Le son de cloche est un peu différent chez Bruno Barde : « Ma programmation ne va pas être plus compliquée parce qu’il y a un nouveau festival à Paris, elle l’est déjà par rapport à Sitgès ou plus prosaïquement par rapport au marché. J’ai vu pas mal de films asiatiques formidables cette année, il n’est pas sûr du tout que je puisse avoir ceux que je voudrais, parce que leurs vendeurs espèrent être pris au Panorama ou au Forum à Berlin. La vraie difficulté aujourd’hui est là : quand je parle à un vendeur de films fantastiques, je sais qu’il va aussi parler à dix autres interlocuteurs… Je ne me sens pas en rivalité avec le PIFFF. Il y aura peut-être des films qui y seront présentés et qui seront à Gérardmer. Toute initiative qui défend le cinéma est louable. Après, que la ville de Gérardmer ou son maire s’offusque de voir qu’un festival vienne marcher sur leurs plates-bandes, je peux le comprendre, même si ce n’est pas de mon ressort. Mais au moment où je vous parle, je travaille sur la programmation de la prochaine édition. Le reste : les chiens aboient, la caravane passe… »La guerre du net et du numérique Pourtant, un point épineux pourrait faire du bruit : Mad Movies est un partenaire historique du festival de Gérardmer, plus particulièrement de sa section des inédits vidéos. Fausto Fasulo : « D’après les plus récents échos, cette section devrait être supprimée. Ce qui n’est pas en soi une mauvaise idée. Mais ça ne va pas empêcher des gens de faire des parallèles entre cette  possible disparition et le fantasme d’un conflit entre le Public Système et Mad movies. Alors qu’en toute logique cette section aurait dû disparaître depuis des années déjà, vu la porosité entre les sorties salles et vidéo de films fantastiques. Quel intérêt y avait il de garder le cloisonnement dans des sélections différentes ? »Cyril Despontin enfonce le clou : « Les films de cette section étaient projetés en vidéo, dans une salle de piètre qualité, alors qu’il y avait les moyens de les montrer dans des meilleures conditions. Projeter Heartless en DVD alors que des copies 35 étaient disponibles auprès de son vendeur. Pffff… Pareil pour House of the devil, c’est presque décourageant de le découvrir en DVD sur grand écran, assis sur un fauteuil délabré. Nous montreront au PIFFF A lonely place to die en copie film, alors qu’il sort en vidéo début 2012, parce qu’il semblait normal de le projeter dans le format pour lequel il a été conçu ». Le vrai souci du PIFFF n’est pas la vidéo mais plutôt le Net, où l’on peut déjà trouver un tiers des films de leur compétition. « On a refusé des films parce qu’ils étaient disponibles en DVD dans certains pays depuis très longtemps, et donc forcément trouvables sur le Net. Et puis il y a des cas comme The Ward. Il est téléchargeable depuis un an, et en plus, en HD, mais comment passer à côté de l’occasion de projeter en France le seul film de John Carpenter depuis dix ans, sur grand écran, dans les conditions pour lesquelles il a été fait. C’est un geste politique. On sait depuis belle lurette que The ward ne sortira pas en salles en France, mais ça reste un des plus grands auteurs de ce registre… ». Politique de découvertesJusque-là, ces auteurs - Carpenter, George A. Romero, Dario Argento - étaient la chasse gardée de Gérardmer. Confirmation de Barde : « En termes d’entrées comme de retours, la plus belle édition reste celle où on a monté un jury avec les maîtres du genre. Et Hideo Nakata, Peter Jackson, Kim-Jee-Woon, Scream ou Morse, c’est à Gérardmer qu’on les a découverts en France ». Pour sa première année le PIFFF a donc voulu miser sur des découvertes. De Bellflower à Blind Alley en passant par Retreat et quelques autres, la plupart des films présentés sont des premières œuvres, qui plus est issues de pays les plus variés. Sur le papier, une programmation qu’on aurait rêvée de voir… à Gérardmer. Cyril Despontin y voit le signe d’une émulation saine : « Après tout, le PIFFF pourrait bien être un motif de stimulation en forçant ses programmateurs à se bouger pour prendre des films qui pourraient nous intéresser. Et du coup se débarrasser de la question qui se pose depuis plusieurs années quand on découvre leur programmation : l’absence de certains titres alors que leur présence là-bas semblait évidente. Ou éviter des aberrations comme la présentation de The loved ones, en 2011 avec un an de retard, puisqu’ils avaient forcément repéré le film au pire à Sitges en 2009. S’ils l’avaient sélectionné à temps, son prix aurait peut-être aidé à une sortie salle au lieu de finir diffusé en VOD ou d’avoir été vu sur le net par tous ceux qui en avaient entendu parler avant même son passage là-bas… »  Propos recueillis par Alex Masson 1ère édition du PIFFF ( 23-27 novembre, au Gaumont Opéra Capucines, Paris)19e édition du Festival de Gérardmer (25-29 janvier 2012)