François Truffaut
Hollywood Archive/Photoshot/ABACA

En streaming ou en vidéo, le cinéaste des Quatre Cents Coups et de La femme d'à côté, mort en 1984, est célébré via des rétrospectives et un magnifique documentaire.

François Truffaut meurt à l’hôpital américain de Paris le dimanche 21 octobre 1984. Il avait 52 ans et réalisé vingt et un longs métrages entre 1959 (Les Quatre Cent Coups) et 1983 (Vivement Dimanche !) Lesquels choisir pour célébrer l’anniversaire de sa mort (40 ans donc, tout un monde !) qui incite les programmateurs à marquer le coup et ainsi (ré-)activer la puissance d’une des œuvres les plus fondamentales du cinéma français et international ? Le site internet de France Télévision en a de son côté choisi cinq. Tout comme Arte qui propose également une collection de cinq oeuvres de Truffaut, dont Baisers Volés diffusé ce lundi soir sur son antenne. 

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Les deux premiers sonnent immédiatement Nouvelle Vague : Les Quatre Cent Coups, film inaugural où Truffaut lance son double-fictionnel Antoine Doinel et Jules et Jim (1962), triangle amoureux avec Jeanne Moreau qui chante Le tourbillon de la vie. Les trois autres se situent à l’autre bout du spectre de sa carrière : Le très césarisé Dernier métro (1980), drame en costumes dans la France occupée avec Deneuve et Depardieu ; le thriller fiévreux La femme d’à côté (1981) dont Truffaut disait : « Comme les chansons d’Edith Piaf, il ne parle que d’amour mais en parle avec gravité… » et l'ultime opus avant l'effacement Vivement Dimanche ! (1983), film noir hitchcockien.

5 semble être le chiffre magique puisque le coffret édité spécialement par l'éditeur Carlotta s'articule nommément autour de 5 héroïnes truffaldiennes avec La peau douce, Les Deux Anglaises et le Continent, La femme d'à côté et Vivement dimanche!  Conjointement, le même éditeur propose en vidéo une restauration 4K de Tirez sur le pianiste.

Mais la vraie plus-value de ces hommages est la découverte du documentaire de David Teboul, François Truffaut, le scénario de ma vie. Derrière ce titre très lelouchien ce récit quasi à la première personne (Louis Garrel fait revivre Truffaut en lisant des extraits de sa correspondance) retrace le parcours intime du cinéaste. Une grande part est consacrée à son enfance contrariée et notamment la découverte d’un secret familial qui bouleversa sa vie.

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Un (p)acte d’amour

De tous les autres représentants de la Nouvelle Vague, François Truffaut reste avec Claude Chabrol, le plus accessible. Cet amoureux fou de l’œuvre de Balzac a placé le romanesque au-dessus de tout. Jamais le discours théorique n’est venu parasiter la course des sentiments. L’œuvre de Truffaut peut se voir comme une longue histoire d’amour fou et contrarié, lui qui voyait la vie "comme une tentative de se faire accepter". Au centre de sa comédie humaine, il a placé Antoine Doinel, double fictionnel incarné par Jean-Pierre Léaud. On suit depuis sa tendre enfance jusqu’à sa vie d’adulte, ce jeune homme sensible, jamais complètement adapté à la vie bourgeoise. Il y a Les Quatre cents coups (1959), Antoine et Colette (1962), Baisers volés (1968), Domicile Conjugal (1970) et L’amour en fuite (1979). Celui ou celle qui arpenterait l’œuvre de Truffaut pour la première fois, peut d’ailleurs débuter par là. Difficile de résister à la trogne et la gouaille du jeune héros essayant de s’évader d’un triste quotidien.

Léaud, 14 ans à l’époque des Quatre cents coups, dégage un naturel qui frise l’insolence. Le Paris de la fin des fifties est capturé dans son plus "simple" appareil. Avec la Nouvelle Vague naissante, c’est le souffle de la vie qui entre dans les films, sans trop d’artifices. Truffaut, Godard, Chabrol et les autres viennent d’ouvrir les fenêtres du cinéma français pour l’aérer. Truffaut, jeune critique s’est fait connaître avec un texte rageur publié dans Les Cahiers du Cinéma, "Une certaine tendance du cinéma français". Il y fustigeait l’académisme, la pesanteur, la distanciation avec laquelle ses ainés racontaient des histoires. Truffaut dit "je". Ça change tout. "Les jeunes cinéastes s’exprimeront à la première personne", écrit-il en 1957, "et nous raconterons ce qui leur est arrivé. Le film de demain ressemblera à celui qui l’a tourné et le nombre de spectateurs sera proportionnel au nombre d’amis que possède le cinéaste. Le film de demain sera un acte d’amour."

Un homme, des lettres

Chez Truffaut, la légèreté est toutefois un leurre. Derrière un sourire, les larmes sont en attente. Doinel place des fleurs dans sa vie mais a du mal à l’embellir et fera l’expérience des désillusions. Truffaut, homme de Lettres, héritier des romantiques du XIXe siècle, cherche les mots justes pour raconter la folie du monde, au passé parfois, au présent souvent, et au futur, une seule fois. Dans la foulée des Quatre cents coups, il y a Tirez sur le pianiste d’après David Goodis, film noir "à l’américaine", puis le coup d’éclat Jules et Jim, autour d’un trio amoureux : une femme, deux hommes, le tourbillon de la vie, donc de la mort. Il adaptait ici la prose d’Henri-Pierre Roché qu’il retrouvera pour le film en costumes - à la fois austère et magnifique - Les Deux anglaises et le Continent. Il y a ensuite La peau douce, récit d’un adultère qui vire au thriller. Avec Fahrenheit 451, film SF, d’après Ray Bradbury autour d’un monde privé de livres et tourné avec des sous hollywoodiens, le cinéaste signe son premier film en couleurs et surtout le premier gros four d’une carrière pourtant prête à s’envoler.

Truffaut, l’homme qui a façonné la politique des auteurs en tant que critique, plaçant le cinéaste au centre de tout, n’a jamais cessé d’explorer, d’innover, de chercher dans les mots des autres - et les siens bien-sûr - son propre langage. Lui le fan absolu d’Hitchcock, de Cocteau et Renoir, a continué leur travail et malaxé le réel, le prenant à contre-pied parfois, pour faire bouillir les émotions. Le catalogue Netflix fait malheureusement l’impasse sur une grosse partie de l’œuvre, et il faudra chercher ailleurs pour trouver, La mariée était en noir, La Sirène du Mississipi, L’histoire d’Adèle H. , L’enfant sauvage, ou encore La chambre verte. Dans ces deux derniers films, Truffaut y tenait aussi le rôle principal poussant un peu plus loin la personnification. Il fera aussi l'acteur pour Steven Spielberg dans Rencontres du 3e Type en 1977. L'auteur américain des Dents de la mer reste l'un de ses plus grands admirateurs.


 

Un homme, des femmes

Truffaut aimait donc la vie dans toute sa gravité. Lui, né de père inconnu (dont il découvrira l'identité bien plus tard) et d’une mère qui préférait gravir des montagnes avec son nouveau mari plutôt que de s’embarrasser d’un bambin. Truffaut, l’homme blessé et mal aimé, aura passé son existence à rechercher ce dont il a été privé enfant, à travers des pères de substitution (André Bazin, Henri Langlois) et l’amour des femmes. Les femmes ont été d'ailleurs la grande affaire de son œuvre, qu'elles aient été muses, compagnes, maîtresses ou complices… Catherine Deneuve, Jeanne Moreau, Nathalie Baye, Claude Jade, Isabelle Adjani, Fanny Ardant…, si on s’en tient exclusivement aux actrices. Ardant, la dernière, celle qu’il a repérée à la télévision dans le feuilleton Les dames de la côte et qui l’aura accompagnée jusqu’à sa mort prématurée. Elle est l’héroïne d’un de ses plus beaux films La femme d’à côté, face à Gérard Depardieu. Un pur thriller sur la force du destin, la vulnérabilité des êtres et les dégâts de la passion. La femme d’à côté date de 1981, c’est l’avant-dernier film, réalisé juste après le monument, Le Dernier Métro drame sous l’Occupation avec Deneuve et Gérard Depardieu, dont l’action se déroule quasi exclusivement dans un théâtre. 10 César à la clef et un malentendu.

Truffaut le mentor de la Nouvelle Vague, l’éternel jeune homme du septième art soudain emprisonné dans d'imposants décors au cœur d’un film en costumes, serait-il devenu académique ? Non bien-sûr. Tout dans le Dernier métro brûle et vibre. Truffaut continue de dire "je", expérimente les vestiges de son passé (Truffaut a grandi sous l’Occupation) et croit encore aux pouvoir de l’amour malgré le chaos. Ce chaos, que le cinéaste aura savamment tenu à distance grâce au travail, grâce à la passion. Grâce au cinéma. "Les films sont plus harmonieux que la vie", dit-il à Jean-Pierre Léaud dans La nuit américaine, "il n’y a pas d’embouteillages dans les films ; les films avancent comme des trains dans la nuit." A vous désormais, de (re-)prendre ce train en marche.

A partir du 17 octobre sont dispos sur France.tv : le documentaire de David Teboul, François Truffaut, le scénario de ma vie et cinq longs-métrages dont Les Quatre Cents Coups et Le Dernier Métro.

Soirée spéciale François Truffaut sur France 5, le vendredi 25 octobre à 21h05 avec la diffusion du documentaire: François Truffaut, le scénario de ma vie, suivi des Quatre Cents Coups.

Arte.tv propose un cycle Truffaut, avec La Sirène du Mississipi, Les deux Anglaises et le continent, Domicile conjugal, Baisers volés et L'Amour en fuite.

Coffret vidéo "5 héroïnes de François Truffaut" + Tirez sur le pianiste en Blu-Ray (Carlotta)

Les Deux Anglaises et le Continent, le film-blessure de François Truffaut