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Vous aviez déjà mis en scène Nina, pourquoi remonter la pièce ?C’était il y a vingt ans, à Rome [NDLR : Avec Darry Cowl et Adriana Asti, repris à Paris à la Gaîté]. La raison pour laquelle je reviens à cette pièce n’est pas mineure, c’est que Mathilde et moi rêvions de faire un spectacle ensemble. On a cherché, et en relisant le théâtre de Roussin, je me suis dit que « Nina » était pour elle. Elle a été emballée à la lecture de la pièce. Et puis j’avais les deux garçons pour lui donner la réplique.Quelle bonne idée de faire (re)découvrir André Roussin !Cet auteur de la seconde moitié du XXe siècle, mort en 1989, a écrit des comédies qui ont été énormément jouées. Avoir du succès, cela donne des étiquettes, comme ce fut le cas pour Feydeau, Labiche, Guitry. Roussin est un homme de son siècle, cela se voit à travers les thèmes qu’il aborde dans ses œuvres. Il cherche des situations particulières dans la psychologie.Il a participé à l’essor du boulevard !Après la Seconde Guerre mondiale, on comprend que les gens aient eu envie de rire, besoin d’un théâtre qui distrait. Mais chez Roussin, les thèmes sont profonds. Nina est une pièce sur la passion, sur l’amour et sur la mort. L’auteur en dit des choses intelligentes. Comment aimer les gens ? Comment s’aimer soi-même ? Car il faut s’aimer pour pouvoir aimer l’autre. Roussin écrit dans une belle langue avec un sens de la réplique théâtrale.C’est une histoire de mari, d’amant et de femme.Dans cette pièce en trois actes, Roussin renverse le fameux trio. Ici, c’est le mari qui est dans le placard et qui fuit son épouse. En venant tuer l’amant, le mari va faire sa connaissance et ressentir pour lui des sentiments qui vont évoluer vers l’amitié.Un trio difficile à interpréter, non ?Il faut trois acteurs qui correspondent vraiment à ce style d’écriture. C’est la même chose pour aborder la commedia dell’arte. Le mari est humble, timide, mais rageur. La femme est séduisante, attirante, intelligente. L’amant est un « bel indifférent », un homme à femmes, lassé de ces dernières. J’ai la chance de les avoir trouvés tous les trois.Tout tourne autour de Nina, qui est-elle ?Une femme qui a un sacré caractère ! Une amoureuse de l’amour et qui le cherche éperdument. Elle a beaucoup d’amants mais tient à son mari. Il y a une bataille d’intérêts entre le mari et la femme. Nina dit à son époux: « Quand on aime, on tue la femme, pas l’amant ! ». Nina commande ses amants, son mari et même la vie, puisqu’elle a le don de prévoir les événements ! La pièce a été écrite en 1949, époque qui marque les débuts de l’émancipation féminine, ce qu’elle dit sur les hommes est dur mais vrai. C’est pourquoi j’aime cet auteur.Un rôle idéal pour Mathilde Seigner !Elle est connue pour être une comédienne de caractère. En réalité, elle est très sensible, surtout à l’art dramatique. Elle est née là-dedans. Louis, son grand-père, et Françoise, sa tante, lui ont transmis cet héritage. Elle est très ancrée dans cette transmission. Le personnage de Nina n’est pas qu’une énergie, c’est une femme qui souffre de l’ennui d’une vie sans amour. Si le fond est comique, il y a des moments très émouvants. J’aime le mélange rire / émotion, que l’on retrouve chez Mathilde. Je fais jouer la pièce dans des costumes néo 1950, mais cela n’empêche pas Mathilde d’être une "Nina" d’aujourd’hui.Et pour le mari et l’amant, on retrouve Berléand et Vincentelli qui étaient déjà dans Quadrille, votre précédente mise en scène.Je peux dire que les deux François appartiennent à la famille, à la troupe de l’Edouard VII. Avec Berléand, on a beaucoup travaillé ensemble. A la fois drôle et bouleversant, le rôle du mari est à sa mesure. Quant à Vincentelli, je le fréquente depuis qu’il a 20 ans. J’ai eu beaucoup de plaisir à le voir grandir. J’adore découvrir des comédiens, mais c’est vrai que le fait de bien se connaître permet d’approfondir le travail.La pièce n’est-elle pas un peu datée ?Je l’ai laissée dans son jus, celui des années 1950. Mais j’ai créé des aplats, des contrastes avec les lumières qui font qu’on ne sait plus bien dans quelle époque on se trouve. Je n’ai pas peur du rapport à la modernité. La seule question à se poser est celle de la crédibilité. Relisez Les temps difficiles de Bourdet : dans cette histoire de famille, d’argent, pas question de se demander si c’est moderne. Il y a encore beaucoup de pièces à remonter dans le répertoire. La France est le pays qui produit le plus d’œuvres théâtrales.Vous êtes à la tête du Syndicat national des directeurs et tourneurs du théâtre privé. Devant la richesse de cette rentrée, pouvez-vous nous dresser un état de cette crise ?J’ai envie de dire que le théâtre est la réponse ! Il faut être fou pour acheter un lieu, se lancer dans la production, car on n’est jamais sûr de rien. Pourtant, on continue à produire des pièces. Quant au public, 3 300 000 spectateurs, il se maintient. Et en regardant le premier trimestre 2013, on s’est aperçu que les choses allaient mieux. Je suis fier de présider ce syndicat car nous sommes un secteur d’activité qui donne l’exemple. On fonce, la tête dans le guidon, sans craindre le risque. Notre carburant, c’est la passion.