Première
par Perrine Quennesson
C’est votre anniversaire. Vous avez 8 ans. Votre grand-tante qui veut bien faire a suivi votre liste au Père Noël et vient de vous offrir la boîte du dernier Lego Star Wars. Que faire ? Suivre à la lettre les instructions pour obtenir la parfaite réplique en petites briques du Faucon Millenium ou se laisser aller à sa propre imagination, défier la pesanteur et les lois de la gravité « legoesque » pour créer un nouveau monde où Han Solo et les Stormtroopers pourraient jouer ensemble et, même, pourquoi pas, devenir copains ? C’est à ce déchirant dilemme que le film LEGO Movie s’attaque. Dans un monde proche du 1984 d’Orwell, Emmet est un personnage Lego basique. Jaune citron, sans distinction. Il boit, comme tout le monde, du café hors de prix (« $37 ? Génial ! »), suit à la lettre les instructions pour se comporter comme un bon Lego, s’esclaffe comme tout le monde devant une série lobotomisante (« Où est passé mon pantalon »), chante et danse la même chanson (« Tout est super-génial ! ») qui passe sur la radio que tout le monde écoute au même moment. Et il a intérêt : tout contrevenant à l’ordre public décidé par Lord Business (le chef du monde) encourt… la mort. D’ailleurs, ne voulant prendre aucun risque, Lord Business a imaginé un plan machiavélique pour prévenir tout désagrément potentiel : engluer le monde Lego. Comme ça, c’est sûr, plus rien ne bougera et tout restera comme c’est indiqué dans le manuel. Mais Lord Business a oublié la prophétie. Une personne, Le Spécial, trouvera La Pièce Manquante, qui empêchera le tyran d’arriver à ses fins. Et le Spécial, c’est Emmet. Un monde aliénant où tous les bonhommes jaunes sont conditionnés ; un univers où tout le monde écoute la même musique, regarde le même soap et n’a plus beaucoup de cerveau disponible ; une ville gavée par une impressionnante propagande marketing… La Grande Aventure LEGO est un drôle de film pour môme, un trip délirant qui navigue entre Toy Story et South Park, Matrix (pour le discours subversif) et Le Hobbit (pour la quête). Un film de superhéros imaginé par Guy Debord, une fable dystopienne qui prétend rentrer dans les synapses de Dieu sans jamais cesser d’être DROLE. Oui, vous avez bien lu… Le principe est simple : les réalisateurs Chris Miller et Phil Lord sont entrés en guerre contre la société de consommation. Mais (ils ont quand même la marque LEGO derrière eux) le propos est en réalité plus subtil que ça. Pas question ici de dire qu’acheter ou consommer, c’est mal. Au contraire, le film multiplie les références à la pop culture - du Seigneur des Anneaux aux joueurs de la NBA en passant par les Simpsons et Michel-Ange (mais aussi Michelangelo) - et n’entend pas vraiment clasher la culture de masse. Ouf ? Les deux réalisateurs préfèrent rester dans la nuance, critiquant l’aspect normé de cette consommation. Dans le viseur, on trouve l'idée que la pub et les réflexes pavloviens de consommateurs privent les mômes (client type des LEGO mais, ici, l’humain en général) de toute réflexion personnelle. Il y a une certaine violence dans cette façon de mettre en scène ce lavage de cerveau collectif, une cruauté bien dissimulée sous le vernis humoristique, caractéristique du duo et déjà présente dans le très sympathique Tempête de boulettes géantes (souvenez-vous les rats-volants emmenant les enfants au loin). Mais là, Lord et Miller vont plus loin. Si le film n’est pas anti-consumériste, il est clairement anti-intégriste. Dans un univers où les marques considèrent le cinéma comme la dernière roue du carrosse marketing (Hasbro et ses Transformers étant le meilleur exemple) LEGO Movie surprend. En effet, le film ose prendre ses distances avec toute une frange de sa galaxie plastique : les collectionneurs. Ces ayatollahs de la perfection cubique sont mis au ban à travers le personnage de Lord Business. Vus comme des « tueurs de fun », des fascistes, quand on observe le monde dans lequel les personnages évoluent, ils empêcheraient la création et l’imagination inhérentes à ce jeu dit « pour enfants », en voulant absolument fixer les pièces ensemble. Gluer et compartimenter chaque univers pour empêcher toute vie et toute liberté. Impossible du coup, puisqu’on parle de création, de ne pas se poser la question du Divin, d’autant que LEGO Movie semble se demander s’il est un dictateur sans pitié adepte de l’ordre établi ou s’il laisse ses attributs de marionnettiste supérieur au bon vouloir de ses œuvres… C’est au fond le mérite de ce film pour tous qui semble prendre prendre le relai de Pixar qui depuis quelques temps semble perdre de son aura. Derrière l’extraordinaire réussite comique du film (c’est hilarant, pour les grands et les petits) se cache un film assez fascinant par son propos subversif dont le dernier pied de nez est le carton au box office. Hyper-rythmé, il possède également un casting voix impressionnants dont le duo de 21 Jump Street, Channing Tatum et Jonah Hill, et Chris Pratt qui achève bien ici sa transition de boulet simplet de la série Parks and Recreation à super héros intergalactique du futur Gardiens de la galaxie. Mêlant les techniques de l’animation 3D et de la stop-motion, le film de Chris Miller et Phil Lord est aussi un vrai hommage enthousiaste à ces personnages jaunes et aux cubes multicolores, comme si une caméra avait pu pénétrer l’esprit du gamin de 8 ans qui a reçu de sa grand-tante des Lego Star Wars à Noël. Super génial ? Faut croire.