DR

Steve Jobs, créateur d’Apple, vient de mourir et laisse la planète techno en deuil. Mais le monde du cinéma lui doit aussi beaucoup. Explications.   "Au début de l'aventure Pixar, Steve Jobs soulignait que si un ordinateur avait une durée de vie limitée, un bon film était éternel" expliquait récemment Lasseter au Figaro. Jobs en quête d’immortalité qui se tourne vers le cinéma ? Maintenant que le gourou techno est mort, il est peut-être temps de se demander comment il a aussi révolutionné le cinéma.    Au commencement était Pixar1986. A l’époque, le département infographie de George Lucas, Lucasfilm Computer Graphics, est en perte de vitesse. Tonton George n’y croit plus et s’apprête à dégraisser la cellule. Jobs, fasciné par le potentiel du numérique, rachète LCG pour 10 millions de dollars et la rebaptise Pixar. Il s’improvise CEO, s'entoure d'un scientifique génial, Ed Catmull et de John Lasseter, qui vient de se faire virer de chez Disney. L’histoire est en marche…C’est évidemment compliqué de quantifier l’importance de Jobs dans l’histoire de Pixar, une firme qui carbure à la politique des auteurs et qui met en avant l’individualité très forte de ses réals. Mais une chose est sûre : le succès de Pixar est en grande partie lié à la liberté que Jobs laissait aux créatifs. Pixar, comme Apple, c’est d’abord un état d’esprit avec au cœur du dispositif (artistique, créatif, promotionnel), l’idée de perfection. Si ces deux boîtes ont à ce point changé notre univers, c’est qu’elles ont réussi à faire croire que leurs employés sont des génies guidés par l'émotion et la beauté. Une trademark Steve Jobs…Mais en regardant bien l’histoire de Pixar, on s’aperçoit surtout que le studio à la lampe a d’abord été le lieu d’une révolution technologique mise en scène dans des scripts brillants. Précisément dans cet ordre-là. Une fois cette technique maîtrisée (Les Indestructibles), Pixar est évidemment parti ailleurs. L’art, la poésie, la performance sont devenus leurs nouveaux playgrounds. Mais c’est la technologie Apple qui a d’abord permis à Lasseter de faire vrombir ses petites voitures, d’envoyer un poisson clown en Australie ou ses jouets à la maternelle… Au fond, Apple et Pixar ont le même mojo et sont nées d’un même désir de briser les normes. Les deux boîtes ont inventé de nouveaux design et révolutionné notre façon de voir (le monde, le cinéma). Pixar a changé le cinéma, comme Apple a changé la technologie : en voulant toujours aller plus loin, "To infinity and beyond". Jobs style !L'influence de Steve Jobs sur le cinéma actuelL’autre impact décisif de Jobs sur le cinéma, c’est sa suprématie du design. Tout chez Pixar (depuis Luxo Jr jusqu’à l’Eve de Wall-E) semble avoir été designé par Jobs himself. Mais son influence est aussi palpable en dehors du studio d’Emeryville et une large part du look de la SF contemporaine (pensez Spielberg avec Minority Report ou les robots d’AI ou bien Proyas et son I Robot) doit beaucoup à Jobs. Dans le genre, l’exemple le plus fou reste le clip de 1984 pour le Mac. Commandée par Jobs à Ridley Scott pour le Super Bowl, cette pub dystopienne était une attaque frontale contre IBM. La mise en scène de Scott s’abreuvait à tout un pan de la SF monstrueuse (de Metropolis à 1984 en passant par… Blade Runner), mais le film allait en retour obséder les cinéastes en herbe scotchés devant leur écran. Impossible en voyant le clip de ne pas penser à Running Man (et son lanceur de javelot), Dark City, Les fils de l’homme (Cuaron ayant toujours crié sa vénération pour Scott) ou encore le V pour Vendetta de McTeigueUn technologie qui a révolutionné le cinémaMais finalement, l’héritage le plus décisif de Jobs est à chercher dans ses softwares : la liberté que les technologies Apple ont donnée aux cinéastes. Ce sont les frères Spierig qui réalisent Daybreakers avec “un simple Mac”. Kerry Conran qui fait son film Captain Sky et le monde de demain “seul, dans (s)a chambre, sur (s)on Mac IIsi”. Ou bien Rian Johnson qui monte Brick “sur (s)on Final Cut Pro”. Mine de rien, en donnant accès à des logiciels permettant de faire des films chez soi, Jobs et Apple ont changé l’eau du bocal et permis au cinéma de se libérer. Les cinéastes ne sortent plus des écoles, mais de leur garage. Jobs a eu le droit à son biopic (Les Pirates de la Silicon Valley) et on imagine déjà les scénaristes d'Hollywood plancher sur sa life. Ca n'est que justice : peu d'industriels ont changé la face du cinéma à ce point... Gaël Golhen.