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Première décerne ses prix d’interprétation.

Louis Garrel dans Le Redoutable

Louis Garrel en Jean-Luc Godard, la performance biopicomique de l’année. Le cheveu sur la langue, le regard fumasse derrière les lunettes fumées, l’accent suisse pro-chinois… Tout y est. Mais ça, on s’y attendait. Là où Garrel fait très fort, c’est en parvenant à livrer une vision de Godard légèrement différente de celle de Hazanavicius. Moins vacharde, plus amoureuse, comme si deux visions du mythe s’affrontaient sur l’écran, comme si l’interprète plaidait la cause du personnage face à son réalisateur. Louis Garrel ? Génial 24 fois par seconde. 

 

 


 

Hugh Jackman dans Logan

Enfin ! Le Wolverine qu’on espérait. Le film que Hugh Jackman méritait. Le réalisateur James Mangold compile ses fantasmes western et eastwoodiens mais c’est Jackman, lui seul, qui parvient à se hisser à la hauteur de Josey Wales et Bill "Impitoyable" Munny. Barbu, fatigué, nerveux, imprévisible – Honky Tonk Wolvie. La preuve que les films de super-héros peuvent encore produire un peu de mythologie. 

 


 

Nahuel Pérez Biscayart dans 120 Battements par minute et Au revoir là-haut

Au sein du casting pléthorique et uniformément exceptionnel de 120 Battements par minute, Nahuel Pérez Biscayart se détachait progressivement, presque imperceptiblement. Et on ne finissait par ne plus voir que lui, ce visage incandescent devenu l’emblème du film. Un visage que l’acteur s’est empressé d’aller cacher sous la farandole de masques d’Au revoir là-haut, l’adaptation du roman de Pierre Lemaître par Albert Dupontel. Les "révélations" cinéma se contentent en général d’un grand film inaugural - c’est suffisant pour se faire remarquer. Biscayart, lui, histoire d’être sûr, a préféré en tourner deux d’affilée.  

 


 

Emma Stone dans La La Land

On pourra ergoter à l’infini sur les capacités de danseur et de vocaliste de Ryan Gosling dans La La Land (pas mal ? bof ? entre les deux ?) mais on n’a trouvé personne jusqu’à présent pour contester le génie iconique d’Emma Stone, qui conquiert ici un bout d’éternité et rejoint le firmament des stars de l’âge d’or que le film convoque amoureusement. Il y avait Ginger Rogers, Cyd Charisse, Deneuve et Dorléac. Il y a maintenant Emma Stone. Qui a dit que les stars de cinéma n’existaient plus ? 

 


 

Laetitia Dosch dans Jeune Femme

Greta Gerwig + Patrick Dewaere = Laetitia Dosch ? Oui, avec des bouts de Gena Rowlands et de Barbara Loden dedans. On aimerait bien vous faire le coup de la révélation, mais ça, c’était il y a quatre ans, dans La Bataille de Solférino. Depuis, pourtant, Dosch a peu tourné, préférant se consacrer à ses performances scéniques volcaniques (Un album, au Théâtre du Rond-Point). Jeune Femme fonctionne donc quand même comme une carte de visite XXL, qui dévoilerait tous les visages de l’actrice : sa folie douce, son physique caméléon, sa logorrhée dingo, sa sensibilité à fleur de peau.

 

Mark Rylance dans Dunkerque

Christopher Nolan a toujours eu un rapport ambigu aux acteurs. Il les aime (ses chouchous Joseph Gordon-Levitt et Tom Hardy, le vétéran Michael Caine) mais les cache souvent derrière des masques, des artifices, des concepts-écrans de fumée. Pourtant, pour faire vibrer l’élan patriotique qui sous-tend Dunkerque, il n’avait plus le choix : il devait se colleter à la pure incarnation. Chauffé par ses deux récents tours de piste chez Spielberg (Le Pont des Espions et Le BGG), Mark Rylance se charge ici du quota émotion, en capitaine courage d’un vieux rafiot qui tangue, tangue, mais ne coule pas. Spielberg disait à une époque : « Je sais mettre une larme dans l’œil du spectateur, mais seul John Williams peut la faire couler. » Nolan pourrait dire la même chose de Mark Rylance. 

 


 

James McAvoy dans Split

Un personnage à 24 personnalités ? La plupart des acteurs profiteraient de l’occasion pour dérouler une perf’ à Oscar, ramenarde et égotiste. McAvoy, lui, préfère emmener ça du côté du happening azimuté et du cartoon (sur)humain. Et fait au passage de Kevin Wendell Crumb la créature la plus marquante du bestiaire de Shyamalan depuis… David Dunn et Elijah Price ? 

 


 

Marion Cotillard dans Rock’n Roll

OK, c’est Guillaume Canet qui paye le plus de sa personne dans Rock’n Roll, et Johnny qui a la meilleure réplique (« ça caille, non ? Je vais allumer le feu »). Mais pourtant on ne voit qu’elle, Marion Cotillard dans le rôle de Marion Cotillard, actrice « méthodique » cintrée qui collectionne les César et parle québécois nuit et jour pour se préparer au prochain Dolan. On pensait que Rock’n Roll serait pour elle un petit cameo, comme ça, en passant, une récréation entre Zemeckis et Desplechin. Mais elle ne peut pas s’empêcher d’être géniale partout où elle passe.

 

Harrison Ford dans Blade Runner 2049

Le royaume du crâne de cristal et les adieux à Han Solo n’étaient donc que des échauffements. Le voici enfin, le vrai grand rôle réflexif et crépusculaire d’Harrison Ford, sa panthéonisation définitive. Denis Villeneuve sublime l’acteur à coups de gros plans mélancoliques et amoureux. En retour, celui-ci semble plus investi et sincère que jamais. Il faut dire que, depuis Peter Weir, peu de cinéastes l’avaient filmé avec autant de force, d’intelligence et de sensibilité. 

 


 

Nicole Kidman dans Big Little Lies, Lion, Mise à mort du cerf sacré, Les Proies, Top of the Lake : China Girl, How to talk to girls at parties 

On la pensait lasse, blasée, oubliée, voire carrément en pré-retraite. Les nanars avec Nicolas Cage (Effraction) ou Olivier Dahan (Grace de Monaco) avaient méchamment abîmé son star-power. Mais Kidman n’abandonne pas. Pour bien faire passer le message, elle occupait cette année le terrain comme jamais. Dans les séries HBO ou BBC, les machines à Oscar ou les films d’auteur, tellement occupée que le soir où le jury cannois de Pedro Almodovar lui remettait un prix spécial, elle était déjà partie, ailleurs, toujours plus loin, définitivement inatteignable. Bon an mal an, la plus grande actrice de la planète.