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Ce qu’il faut voir ou pas cette semaine.

L’ÉVÉNEMENT

GRAVE ★★★★☆
De Julia Ducournau

L’essentiel
Une réalisatrice de 33 ans se lance à la poursuite des impossibles du cinéma français.

Le titre international de Grave est Raw, c’est-à-dire « cru », dans le sens de « pas cuit » mais aussi de « direct » voire « brut ». Le titre français, lui, signifie qu’il est ici question de choses sérieuses, mais qu’elles seront abordées avec une certaine légèreté générationnelle. – T’as aimé le film, toi ? – Ah ouais, graave... Ce dialogue, entendu dans les rues de Cannes 2016, est devenu un phénomène industriel. Dans les festivals, tous les festivals, Grave/Raw cartonne. Dans les boîtes de prod, toutes les boîtes de prod, on en parle comme d’une révélation et d’un soulagement. Enfin !!! Mais enfin quoi, exactement ?
Guillaume Bonnet

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PREMIÈRE A AIMÉ

THE LOST CITY OF Z ★★★★☆
De James Gray

En apparence, The Lost City of Z ressemble à une rupture dans la filmographie de James Gray : les habituels descendants d’immigrés juifs d’Europe de l’Est ont laissé la place à un hobereau britannique en quête de respectabilité. Le changement de milieu n’est pas seulement social, mais aussi géographique : finis les décors urbains de plus en plus confinés (dans The Immigrant, on ne voyait presque jamais le ciel), bienvenue dans une jungle plus primitive et spacieuse. Pour autant, Gray a trouvé dans le livre documentaire de David Grann, qui retrace le parcours d’un explorateur obsessionnel, un réservoir de thèmes qu’il connaît par coeur : la soif de liberté, le destin, la famille, l’hérédité, l’obsession.
Gérard Delorme

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EL SONADOR – THE DREAMER ★★★★☆
D’Adrian Saba

Sébastian, surnommé Chaplin pour son mutisme, vit de larcins et de braquages en compagnie de sa bande de potes. Mais celui-ci aspire à autre chose lorsqu’il tombe amoureux d’Emilia, la sœur de son meilleur ami. Les deux hommes se disputent et la bagarre se solde par la mort du frère de la jeune femme. L’engrenage se referme alors lentement sur Chaplin. El Sonador, le « rêveur » en français, porte bien son nom. Le film d’Adrian Saba est une chronique sociale brute teintée d’un onirisme en apesanteur, le spectateur ne sachant plus ce qui est de l'ordre du rêve et ce qui ne l'est pas. Très éloignés des turpitudes lynchiennes, ces tableaux vivants reflètent seulement les envies, les fantasmes et les aspirations des deux protagonistes principaux voulant s’extirper de leurs conditions humaines pour trouver une vie meilleure. Car Chaplin et Emilia, duo à la beauté étrange composé de Gustavo Borjas et Elisa Tenaud, sont les produits de leur environnement. Un Pérou dévasté par la pauvreté et gangréné par la violence où il n’y a pas de place pour grand-chose… À part peut-être s’échapper en rêvant.
François Rieux


PREMIÈRE A PLUTÔT AIMÉ

L’AUTRE CÔTÉ DE L’ESPOIR ★★★☆☆
D’Aki Kaurismaki

Encore un port. Encore un clandestin. Encore une histoire d’entraide entre un samaritain occasionnel et un paria mis au ban de la société. Aki Kaurismäki livre une variation mezza vocce du Havre, un peu plus noire et atone, moins pop. Le fidèle Sakari Kuosmanen y interprète Wikstrom, un homme qui a tout plaqué, femme et job de représentant, pour ouvrir un restaurant. En parallèle, le jeune Khaled, un réfugié syrien, tente de survivre aux bureaucrates blasés et aux nazis locaux. Les deux hommes, c’était écrit, devaient se rencontrer. Wikstrom prend Khaled sous son aile, virilement, en lui offrant une cave comme logis et un balai entre les mains. Kaurismäki fuit la psychologie comme la peste et enchaîne les vignettes, mi absurdes mi tendres, à peine dialoguées, avec le souci iconoclaste de « réenchanter tristement » le monde, entre deux riffs de guitare folk et des pintes de bières. Terre de contrastes, avec ses acteurs qui tirent la gueule et ses grands élans humanistes, son humour décalé et sa neurasthénie persistante, le cinéma du poète finlandais ne ressemble à aucun autre, sinon à celui d’un Jim Jarmusch en moins autocentré. On peut lui reprocher ce coup-ci un léger manque de mystère (le « message » est plus martelé qu’à l’accoutumé), un côté routinier, aussi, dans la mise en scène. Le dernier plan, joliment énigmatique, confirme néanmoins le talent, intact, de Kaurismäki de produire des images qui restent ancrées dans le cœur et dans la tête.
Christophe Narbonne

L’EMBARRAS DU CHOIX ★★★☆☆
D’Eric Lavaine

Dans L’Embarras du choix, Eric Lavaine, qui a souvent tapé en dessous de la ceinture (les inénarrables pets de Cornillac au fond de la piscine dans Protéger et servir ou l’intégralité de Poltergay…) trousse une comédie un peu plus élégante qui raconte les déboires d’une jeune quadra incapable de prendre la moindre décision. Ca va du choix du yaourt à la coiffure (frange ou pas frange ?) en passant par les mecs. Evidemment quand elle se retrouve à trois mois de ses deux mariages, ça devient très compliqué. Vraisemblablement inspiré par les classiques américains virevoltants des années 30 et 40 et les comédies british pétillantes où chaque second rôle compte, L’Embarras du choix multiplie les quiproquos, les claquements de portes et fonctionne surtout grâce à son trio de filles explosif. Sabrina Ouazani incarne avec son rire communicatif la copine accro à Tinder et emmène le film sur les rives d’un Sex and The City à la française (plus goguenard, mais aussi bien looké) ; Anne Marivin, elle, joue l’amie rangée, le roc secrètement fragile, marié à un vieux garçon bonhomme. Et elles doivent accompagner Alexandra Lamy qui hésite donc entre un cuistot sauvage (Arnaud Ducret) et un écossais romantique. Lamy est étonnante – moins dans la construction de son personnage sexy (pourquoi pas) que dans la manière dont elle tire parfois le film vers la mélancolie. Parce que sous les falbalas de la comédie, derrière les gags et les canapés de saumon, au fond des verres de vodka, se cache aussi une vraie amertume.
Pierre Lunn

JOURS DE FRANCE ★★★☆☆
De Jérôme Reybaud

Nathan quitte Paul. On n’en saura jamais la cause, sinon que le trentenaire a besoin d’un peu d’air. C’est le moteur classique du road-movie : partir pour mieux se retrouver. Jours de France fait ainsi de cette escapade en Alpha Romeo le prétexte attendu d’une attachante galerie de portraits : une chanteuse de maison de retraite, un jeune amant provincial qui fantasme sur Paris, une voleuse bavarde, etc. Mais Jérôme Reybaud sait aussi déjouer les clichés du genre. Il injecte notamment un zeste de modernité : l’odyssée existencialo-sexuelle de Nathan obéit au fil aléatoire de ses rendez-vous dégotés sur le site de rencontre homo Grindr, dont le système de géolocalisation permet d’ailleurs à son ex, Paul, de le suivre à la trace. D’humeur mélancolique, cette traque sentimentale sur fond de musique classique ménage de jolies ruptures comiques, en flirtant parfois avec le surréalisme : les dialogues semblent émaner directement de l’inconscient des protagonistes, sans filtre, façon écriture automatique voire même télépathie. Le parcours « sans désir fixe » de Nathan (et donc ouvert à la rencontre, perméable à l’imprévu) est aussi l’occasion pour Reybaud de livrer une vision singulière de la France dite « périphérique », ce territoire de zones commerciales anonymes, d’hôtels dépeuplés et de ronds-points disgracieux. Rarement observé autrement que comme un no man’s land séparant deux villes, il trouve ici un regard empathique et ré-enchanteur, sans se lover dans l’angélisme. Beau voyage.
Eric Vernay

MATE-ME POR FAVOR ★★★☆☆
D’Anita Rocha da Silveira

C’est la réponse carioca à It follows ou à Spring Breakers, à ces films baignés de musique pop, de créatures sexy, de fétichisme et de violence sourde. Pour son premier long métrage, Anita Rocha da Silveira raconte sur un mode éthéré et intimiste le quotidien étrange de quelques ados contaminé par les morts violentes de jeunes étudiantes. La touche brésilienne est apportée par une religiosité omniprésente qui sous-tend le message ambigu du film sur la culpabilité et la tentation du mal. Tout n’est pas subtil (la grosse, victime de quolibets et revancharde) ni assumé (le vampirisme latent) mais suffisamment intrigant pour susciter la curiosité.
Christophe Narbonne

PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ

1:54 ★★☆☆☆
De Yan England

Sous ce titre mystérieux se cache non pas une formule secrète mais le chrono que doit atteindre le jeune Tim sur 800 mètres lors des éliminatoires du championnat national et faire ainsi la nique à l’arrogant Jeff, indirectement responsable d’un drame qui l’a touché de près. Cette métaphore sportive est la grande idée de Yan England qui, pour son premier film, se frotte à plusieurs sujets complexes : l’expérience du deuil (comment grandir avec), l’orientation sexuelle (quand elle ne correspond pas à la norme), l’esprit de compétition (à la vie à la mort). Dommage qu’elle soit assénée avec autant d’évidence : le dénouement s’en trouve dépourvu de toute surprise et provoque moins le malaise que l’incrédulité.
Christophe Narbonne

ZOOLOGIE ★★☆☆☆
D’Ivan I. Tverdovsky

L’étrangeté est-elle une posture ou une profession de foi ? Il semblerait que pour le russe Ivan I. Tverdovsky cela relève davantage de la première proposition. Dans son deuxième film, après le multi-récompensé Classe à part, il affuble d’une queue une triste fonctionnaire qui commence à voir la vie d’un autre œil, notamment en fricotant avec un radiologue beaucoup plus jeune qu’elle. So what ? Pas grand-chose, en fait. Tverdovsky n’exploite pratiquement pas cette anomalie physique (à part dans une scène dont la perversité paraît trop fabriquée) et se contente d’un portrait de femme et de la Russie tout ce qu’il y a de plus ordinairement neurasthénique. 
Christophe Narbonne
 

Et aussi

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Reprises

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Le criminel d’Orson Welles
Il posto (L’emploi) d’Ermanno Olmi
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