Les Monty Python racontent Le Sens de la vie
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« Tout à l’envers »
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« C’était brutal ! »
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« Seven ages of man »
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« Tout sauf des moutons »
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« Le court-métrage attaque le long »
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« Un trio super sexy »
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« On a payé le jury »
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« Death, the Musical »
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Les Monty Python racontent Le Sens de la vie
« Tout à l’envers »
« C’était brutal ! »
« Seven ages of man »
« Tout sauf des moutons »
« Le court-métrage attaque le long »
« Un trio super sexy »
« On a payé le jury »
« Death, the Musical »

Les Monty Python racontent Le Sens de la vie

« Tout à l’envers »

John Goldstone (producteur) : Après le succès de La Vie de Brian, les gens nous mettaient une pression de dingue pour qu'on délivre un autre film très rapidement. Les Monty Python ont commencé à écrire sans savoir quelle route ils allaient emprunter exactement. Puis, à l'hiver 81-82, ils sont partis en Jamaïque pour faire le point. Ils ont d'abord eu comme un coup de blues, une sorte de dépression collective.

Eric Idle : Du temps avait passé, on avait fait le spectacle au Hollywood Bowl (et le film qui en est tiré, NDR) et je crois notre disque, le Contractual Obligation Album ? On avait beaucoup d'idées, beaucoup de matériel écrit. La difficulté était de dégager un sujet de film de tout ça. On a commencé à écrire sans idée globale et on s'est retrouvé à devoir déterminer le sujet du film à la toute fin du processus. Tout à l'envers.

Terry Jones : On avait amassé beaucoup d'idées, écrites dans une forme « bunuelesque, » inspirée du Charme discret de la bourgeoisie, où les différents récits fonctionnent de manière circulaire. On s'était organisés pour partir tous ensemble deux semaines en Jamaïque pour mettre ça en forme et trouver un thème général. Et dans l'avion, j'ai relu tout ce que nous avions, avec une pseudo continuité, le timing des sketchs et je me suis dit « ça ne va pas marcher. » Pour moi, il était évident qu'on fonçait droit dans le mur.

« C’était brutal ! »

Terry Gilliam : Sur le plan de l'écriture, rien n'avait vraiment changé depuis l'époque de la série télé. Les paires étaient pré-définies : Michael Palin et Terry Jones, John Cleese et Graham Chapman, Eric en solo, et moi qui travaillais sur les transitions et les séquences animées.

Eric Idle : Ecrire seul, c'est ce que les gens normaux font, non ? Et puis l'avantage, c'est que moi, j'ai toujours le même partenaire, toutes ces années après.

Terry Gilliam : On se retrouvait tous après le déjeuner, on lisait ce qu'on avait fait et on débattait sur ce qui devait rester dedans ou non. Là, c'était une forme d'editing auquel on contribuait tous à égalité.

Terry Jones : C'est assez brutal comme système, parce qu'il faut que tout le monde soit d'accord sur la valeur des sketchs pour qu'ils soient conservés. Par exemple, Monsieur Creosote (le type obèse au restaurant, NDR) qu'on considérait comme notre meilleur sketch, a été rejeté. Un mois après John Cleese est venu me voir en me disant : « je l'ai relu, en fait c'est très bien, et j'ai eu une petite idée? » Ahahah ! Il avait ajouté le bonbon à la menthe et l'explosion, ce qui poussait le truc encore plus loin.

Eric Idle : J'essayais de contribuer au mieux. A part le sketch du serveur, qu'est-ce que j'ai écrit là-dedans ? Attendez voir? Mes contributions étaient surtout les scènes musicales, à la suite du succès de Bright Side of Life, dans La Vie de Brian. The Galaxy Song, sans doute ma séquence favorite, j'ai été surpris qu'elle soit intégrée dedans. Et puis Christmas in Heaven, j'ai une belle démo de ça, enregistrée aux studios de Pink Floyd, Britannia Row. Au fond, Le Sens de la vie est une comédie musicale. Il y a huit chansons ! Et ça, ça a toujours été mon fort, c'est même devenu mon métier, depuis.

« Seven ages of man »

Terry Jones : On est arrivé un lundi ou un mardi en Jamaïque. Une scripte m'avait préparé une continuité dialoguée et minutée de tous nos sketchs. Je suis reparti de là, j'ai sélectionné tout ce qu'on avait de mieux. Le troisième jour, on s'est tous réunis, et je leur ai dit «  voilà, mis bout à bout, ça nous donne 70 minutes de matériel, bon ou très bon. » Michael Palin a proposé d'en tirer un show télé. Et là, j'ai proposé qu'on structure l'ensemble sur le modèle des « Seven ages of Man » (les sept âges de la vie d'un homme, poème de Shakespeare, NDR) » Cette idée-là nous a mis en route. Il fallait encore remplir 30 minutes, et le tour serait joué.

Eric Idle : Après deux semaines de galère en Jamaïque à chercher à mettre un semblant d'ordre dans tout ça, j'ai trouvé l'expression « le Sens de la vie. » Et on s'est tous mis d'accord là-dessus.

John Goldstone : L'idée d'Eric permettait d'harmoniser tout ce qu'ils avaient écrit jusque là, tout en donnant du carburant et de nouvelles idées pour la suite.

Eric Idle : Idéalement, il aurait fallu prendre un peu de recul, essayer de coller à l'idée des « Sept âges de la vie, » l'enfance, l'âge adulte, la guerre etc. en nous concentrant sur un personnage fil rouge. Mais John ne voulait pas perdre plus de temps, et je peux le comprendre. Et au final, le film est là, toujours aussi dégoûtant trente ans après. Répugnant. Et ça, c'est très très dur à réussir.

« Tout sauf des moutons »

Terry Gilliam : Pour La Vie de Brian, les sketchs avaient été bien déguisés, bien intégrés à la narration. Pas pour Le Sens de la vie. Alors forcément, le résultat est plus inégal, mais ce qui est bien dedans est parmi ce que nous avons fait de mieux.

Terry Jones : En tant que réalisateur,  ça ne fait pas une grande différence. Qu'il y ait une intrigue générale ou une suite de sketchs, je pars du script, je fais des storyboards, et le tournage s'organise au jour le jour sur cette base.

Terry Gilliam : Le réalisateur n'a jamais été le leader du groupe ! C'est pour ça qu'après Sacré Graal, j?ai laissé ce rôle à Terry Jones ! Etre réalisateur sur un film des Pythons, cela consiste à être le chien de berger qui essaie de faire avancer le troupeau.  Sauf que ces individus sont tout sauf des moutons. Mon attitude à moi, quand tout le monde se mettait à discutailler, c'était plutôt de me tailler.

Eric Idle : Les engueulades ? Tout ça est très exagéré, suivant la personne qui raconte. Gilliam est très parano, par exemple. La discussion, ce n'est pas de la dispute. C'est une démarche créative, et de là que sortent les meilleures choses.

Terry Gilliam : Mon moment favori ? Toute la très longue séquence avec les protestants et les catholiques, le numéro Every Sperm is Sacred et le couple de protestants qui discutent de sexe. C'est en réalité trois sketchs qui s'enchaînent, presque une mini-comédie musicale, un des meilleurs moments de tous nos films.

« Le court-métrage attaque le long »

John Goldstone : A l'origine, The Crimson Permanent Assurance était juste censé être un sketch d'animation. Et à l'arrivée, c'est devenu ce mini film dont le premier montage faisait 30 minutes !

Terry Gilliam : J'avais juste cette idée d'animation, un immeuble avec les échafaudages qui servent de voile et qui part tel un galion en mer. Mais je me suis dit que ce serait mieux en live et les autres, les fous, m'ont laissé faire !

Terry Jones : Le sketch de Gilliam a coûté un million de livres ! On tournait sur deux plateaux côte à côte, en parallèle. Terry passait de temps en temps nous voir pour faire une apparition dans le « long métrage ».

John Goldstone : Ah aha ahah ! Si le budget du sketch de Terry a enflé au détriment du reste du film, j'imagine que c'est moi le responsable ?

Terry Gilliam : Le truc, c'est que personne ne m'a jamais attribué un budget. Donc techniquement, désolé, le budget n'a pas « gonflé, » il n'a pas été « dépassé », il s'est juste adapté à la réalité de ce que devait être le film.

Eric Idle : Il était prévu qu'il dure deux ou trois minutes. On savait où il devait être placé, à la 68ème minute, j'avais même écrit une chanson... Mais tu ne peux pas arrêter Gilliam quand il est lancé. Même les Weinstein n'y sont pas arrivés !

Terry Gilliam : Le souci s'est posé en post-production. On savait à quel endroit mettre le sketch, mais ça ne marchait pas. On m'a poussé à le couper, mais ça ne marchait pas non plus. Alors j'ai suggéré de le mettre en avant-programme, avec un mini retour gag à l'intérieur du vrai film, cette idée marrante du court-métrage qui attaque le long !

Eric Idle : Et je crois vraiment qu'on a gagné le Grand prix du jury à Cannes grâce à ça. En choisissant de mettre ce formidable morceau de cinéma en début de programme.

« Un trio super sexy »

Terry Gilliam : Le truc très fort dans Le Sens de la vie, ce qui le sépare de nos autres films à mon avis, ce sont les performances d'acteur. Les meilleures de la carrière des Pythons. Et ça, c'est aussi dû au fait que Terry Jones l'a réalisé seul. Moi, je suis sans doute un peu plus visuel que lui, un peu plus obsédé par l'angle de la caméra que par créer une atmosphère où les acteurs s'épanouissent. En tout cas c'était le cas à l'époque. Vous trouvez que mon sketch est bien joué ? C'est parce que je suis très très bon, hé hé. Je sais tout faire, en réalité !

Eric Idle : Les performances ? Après toutes ces années, oui, on était devenus assez bons. On faisait quand même ça depuis 1969, et on avait tous joué un nombre incalculable de rôles, et c'était devenu très confortable d'avoir des perruques, des déguisements, tous ces gimmicks qui facilitent beaucoup le jeu.

Terry Gilliam : C'est le film où j'apparais le plus en tant qu'acteur. Peut-être qu'ils se sont rendus compte que je n'étais pas si mauvais ! En général, je faisais les personnages les plus grotesques.

Terry Jones : J'ai toujours trouvé que Gilliam était sous-utilisé. Pour Le Sens de la vie, j'ai beaucoup insisté pour qu'il fasse Monsieur Creosote, je trouvais que ça collait à merveille. Mais il a tenu à ce que je le fasse moi-même.

Eric Idle : Pour être sûr de ne vexer personne, on ne castait les rôles qu'à la toute fin du processus d'écriture, ce qui permettait que personne ne se sente lésé quand un rôle était coupé. Terry Jones m'a offert le rôle de l'épouse protestante. Il a été très généreux, sur ce coup-là.

Terry Jones : Les rôles de femme, ça m'allait bien en général, oui. J'aimais bien faire ça, avec ma voix de fausset, mais Eric était parfait pour ça aussi. Dans la scène de la mousse de saumon, Eric, Michael et moi faisons un trio d'épouses super sexy.

« On a payé le jury »

Eric Idle : Sans qu'on s'en rende bien compte, des éléments philosophiques étaient apparus dans ce qu'on écrivait qui n'étaient pas aussi présents au début de notre carrière. La mort et la mousse de saumon, c'était tordant, mais c'était aussi profond à sa façon, vous ne trouvez pas ? Ah ah ah ! Même chose avec la scène de l'ablation du foie ! On l'enchaîne avec la « blague cosmique » qui consiste à dire combien tout cela est dérisoire comparé à l'immensité de l'univers. Et voilà comment on se retrouve avec un prix à Cannes !

John Goldstone : Oh, je trouve que c'est présent dans tout ce qu'ils ont fait. Ils ont toujours été anarchistes. Ils ont toujours remis en question l'autorité, les conventions, et fait en sorte que le public se pose des questions à son tour. La scène du restaurant avec Monsieur Creosote était une manière de se demander jusqu'où on peut aller. A Cannes, pas mal de gens ont été choqués. Bon, elle est quand même très marrante, cette scène.

Eric Idle : Bon sang, Orson Welles remettait des prix pendant la cérémonie de clôture ! Vous imaginez Welles devant Monsieur Creosote ? On nous a dit qu'il voulait que le film soit Palme d'or !! A la conférence de presse, Terry Jones avait prévenu « sachez qu'on va gagner, on a payé le jury. »

Terry Jones : Il faut dire que notre distributeur faisait bel et bien partie du jury?

Eric Idle : C'est devenu doublement drôle quand dix jours plus tard, il est monté sur scène pour recevoir le prix, et qu'il a chuchoté : « ok, les gars, l'argent est scotché dans la chasse d'eau des toilettes masculines. »

« Death, the Musical »

Terry Gilliam : On est un peu comme les Beatles, on le savait même en se lançant dans nos carrières solo. Sur nos tombes, il y aura marqué « ex Python. » Et franchement, ça me va bien. C'est le grand accomplissement qui a défini ma vie. Et même si nos intérêts divergeaient vers la fin et que Graham (Chapman, NDR) n'est plus là, quand on se retrouve tous ensemble, comme ça a été le cas cet été, c'est comme si on n'avait jamais été séparés, c'est le même groupe, les mêmes relations, avec moi dans le rôle de l'outsider, le gars qui bricole dans son coin.

John Goldstone : Un nouveau film des Python ? On en parle depuis des siècles maintenant. Mais moi, je garde espoir. C'est très compliqué de les réunir tous les cinq dans une même pièce. J'y suis presque parvenu pour l'un des bonus du blu-ray : j'ai coincé quatre d'entre eux à Londres, et Eric Idle est à Los Angeles, en video conférence. Ils discutent ensemble et disent des choses merveilleuses. Ils débattent du sens de la vie, et de la mort aussi. Ils ont 70 ans maintenant, c'est un moment de vérité dans la vie d'un homme. Je crois qu'ils ont compris ce jour-là qu'ils aiment toujours être ensemble et que la magie opère encore entre eux. Ce serait bien de refaire quelque chose dans le futur. On verra. Même sans Graham, on finira peut-être par y arriver.

Eric Idle : Quand on se voit tous ensemble, c'est toujours les Monty Python. Malgré les fortes personnalités, le format du groupe n'a jamais posé aucun problème créatif, bien au contraire. C'est plus de s'accorder sur des dates, ou le genre de projets on veut mettre en branle qui est compliqué. Qu'est ce que ça pourrait être, de toute façon, un nouveau film des Monty Python ? Après le Graal, Jésus et le sens de la vie ? J'ai pensé à « Death, the musical. » C'est un bon titre. J'ai travaillé dessus pendant trois ans, et puis j'ai laissé tomber. Mais ça sonne très Python, je trouve.

La comédie à sketch fête ses 40 ans aujourd'hui.

Le Sens de la vie, des Monty Python, est sorti en France le 22 juin 1983. Sans aucune interdiction, alors qu'il était Rated-R aux Etats-Unis et destiné seulement aux spectateurs majeurs en Angleterre (une limitation ramenée à - de 15 ans en 2000).

Au moment de sa sortie en blu-ray, en 2013, Terry Gilliam, Terry Jones, Eric Idle et John Goldstone racontaient dans Première l'aventure du Sens de la vie, leur troisième film après Sacré Graal (1975) et La Vie de Brian (1979). Monument du comique british, ce film à sktechs pousse tous les compteurs dans le rouge, et reste l'une des rares comédies, 40 ans après, à avoir raflé le Grand Prix du Jury à Cannes. Il est actuellement visible en VOD, sur Première Max.

Propos recueillis par Guillaume Bonnet et Frédéric Foubert


Sacré Graal : Les Monty Python vs la censure en 1974