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Le studio de Shrek, Dragons et Madagascar a 20 ans.

Jeffrey, on a 20 minutes pour 20 ans. On peut faire tellement de choses en 20 minutes…

Et en 20 ans ? A vous de me dire…

D’abord je voulais savoir ce que vous allez faire maintenant ? Vous abandonnez Dreamworks ? Vous rigolez ? Je vais faire une comparaison. Nos films sont tous structurés sur le même mode. Ils sont en trois actes. Tous. Aujourd’hui, à 20 ans, Dreamworks vient d’atteindre la fin du premier acte. Il en reste deux. On a bâti les fondations, on a su créer le patron de nos histoires, mais on doit vivre de nouvelles aventures. C’est ce qui définit l’acte 2.

Avec ou sans vous ? On verra. J’espère avec moi… mais personne n’est éternel. Je reste très ambitieux. Très impliqué dans mon travail. Je ne suis pas encore sur la pente descendante.

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On a du mal à imaginer Katzenberg se laisser abattre C’est arrivé. A un moment, c’est indéniable, on doit descendre de la scène et laisser quelqu’un d’autre reprendre le rôle. Et d’ailleurs, j’ai pris du champ par rapport à la fabrication des films. Je suis plus le coach aujourd’hui que celui qui va sur le terrain. J’essaie d’être plus le prof que l’exécutant. Mais ce qui me plait c’est que j’ai l’impression que les doers sont parfois plus forts que le maître…

C’est pas mal de fêter les 20 ans avec un film comme Dragons 2 Oh oui ! Surtout que c’est toujours compliqué de faire une suite à la hauteur de l’original. Encore plus quand l’original est aussi fort que Dragons.

On parle un peu de l’histoire de Dreamworks ? Des origines. Vous voulez qu’on reparle de ce déjeuner entre Spielberg, Geffen et moi ? Le moment où on décide de faire ce studio et surtout quand on trouve le nom ?

Vous le racontez souvent ? Parce que c’est un moment historique. Un peu, c’est vrai (sourires)… C’était la première semaine de la compagnie. On avait décidé que deux fois par semaine on déjeunerait ensemble, tous les trois. Spielberg, qui s’occuperait du live, Geffen le businessman et moi qui allais gérer l’animation. On devait décider du nom. J’avais demandé à tous les gens que je connaissais de me donner des idées pour le nom de la boite. On a passé en revu tout un tas de noms. Et Dream était dans 80 mots et Work partout aussi… Et au milieu du déjeuner, on a mélangé les deux. Dream Works. Le garçon sur la lune qui pêche, c’était l’idée de Spielberg. C’est un hommage à Huck Finn, mais dans notre tête, il pêche ses rêves. C’est jolie non ?

Super… On parle des films ? Avec plaisir.

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Les débuts furent difficiles… Fourmiz, Prince d’Egypte, on sent encore l’influence de Disney Je ne trouve pas. Au contraire. La première chose que j’ai dite à Spielberg, c’est que je ne voulais pas faire du Disney. J’y avais travaillé 10 ans, je respectais cet héritage, mais je ne voulais pas les copier.

 

Les concurrencer au moins. Evidemment. Je faisais du business animation. Mais je voulais faire un truc différent. Certes dans le film d’animation familial… Mais différent. Vous connaissez l’expression zero sum game. Ce n’était pas un marché défini, qu’il aurait fallu se partager. Je pensais que le marché de l’animation pouvait grossir. Ce qu’il s’est passé… Prince d’Egypte était ce qu’un Disney Movie ne pourrait jamais être. Un film biblique très sérieux. Aucune chance de confondre avec un Disney. Fourmiz ? Une comédie new-yorkaise sophistiquée. Ce que Disney n’aurait jamais produit… Puis il y a eu Chicken Run, une satire old fashioned… C’étaient des expérimentations. 

Et ça n’a pas marché… Ces films ont eu leur petit succès, mais c’est vrai, ce n’étaient pas des blockbusters. Puis, il y a eu Shrek. Shrek c’était le Graal. Au-delà du succès, énorme, le film était la réponse définitive à ceux qui disaient qu’on faisait des films comme Disney. C’était un anti-Disney. Non, pardon, je dirais plutôt qu’il s’agissait de l’antithèse des films Disney en prenant le conte de fée pour le renverser. C’était un film PG, c’était irrévérent, il y avait des stars de comédie – ce que Disney ne faisait pas. Et c’est devenu notre étoile polaire.

Votre lapsus est rigolo. Etant donné la manière dont s’est déroulé votre départ de Disney, la manière dont Shrek se moque de la tradition Disney et le fait que ce film fut votre plus gros succès et ce qui lança la boite peut sembler ironique… Oui. Si vous regardez la définition du mot Ironie dans le dictionnaire vous trouverez sans doute cette histoire.

Est-ce que ce succès vous a paralysé en terme artistique ? Est-ce que Shrek vous a amené à imaginer des recettes et des codes qui vous ont par la suite bloqué en terme de créativité ? Non. La spécificité de Dreamworks, contrairement à Disney ou Pixar c’est qu’on n’a pas de recette. Il n’y a pas de formule…

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Mais vous faites quand même des suites… Oui. Mais elles peuvent être très différentes des films originaux. Regardez Madagascar 3… Vous voyez un lien entre Madagascar, Shrek, Kung Fu PandaLes Croods ? C’est ça aussi qui fait notre grande différence avec Disney. Raiponce c’est une formule Disney. La Reine des neiges aussi. Les films Pixar, aussi, au fond, ont un univers hyper étroit, hyper codé. Bien faits, mais étroits. Je les adore par ailleurs.

Le problème c’est que sans formule, comment définir l’identité d’un studio ? Ce que vous reprochez à Pixar, au fond c’est sa force. Ce n’est pas faux. Je le reconnais, je l’admire, mais je ne les envie pas. Et notre identité existe : comédie et subversion. Notre boulot, c’est de vous faire rire. Même si on peut réaliser des films plus sérieux comme Dragons, il y a de la comédie dans tous nos films. Autre chose nous définit : si on pense aux films de Dreamworks on pense tout de suite aux personnages. Je dis Kung Fu Panda et tu penses à Pow. Je dis Madagascar et c’est Melvin, Croods c’est la famille qui vient immédiatement à l’esprit et pas l’histoire… C’est notre signature. Les PER-SO-NNAGES. Bien plus que chez nos concurrents. Regardez La Reine des neiges : vous pouvez me dire qui est l’héroïne ou le héros du film ? Moi je ne peux pas. C’est pas un problème pour les spectateurs… Le vrai personnage dont on se souvient, c’est le bonhomme de neige.

Y a un film que j’aime bien et dont on ne parle jamais, c’est Spirit.Je suis content que vous en parliez parce que quand on me demande mon Dreamworks préféré, je le cite souvent. Et les gens sont surpris notamment parce que c’est un de nos films qui a le moins bien marché.

Pourquoi le citer alors ? Parce que c’est le seul film 100% animation à la main qu’on ait réalisé. Et surtout parce que je m’identifie à Spirit. Toute ma vie on a essayé de me faire passer pour le méchant de l’histoire, de me casser. Mais personne n’a réussi. Je suis comme Spirit. Je vais vous raconter une histoire de jeunesse. J’ai quitté le domicile familial quand j’étais vraiment jeune. A peine 17 ans. Et quand on lui demandait pourquoi elle laissait son fils partir si tôt, ma mère répondait : « Jeffrey était un étalon sauvage. Et si je n’avais pas ouvert la barrière, il serait quand même parti. Au moins, de cette manière, il sait qu’il peut revenir à la maison ». Et j’étais un étalon sauvage. Vraiment. Et je suis revenu parce que je savais que je n’étais pas emprisonné.

Pour revenir à Spirit, vu l’échec du film, j’imagine que vous avez abandonné l’animation traditionnelle un peu amer. Non. Pas amer. J’étais pragmatique. Et puis quand je vois ce que peut faire Apollo, notre nouveau soft, je ne regrette rien. Surtout que Apollo permet justement d’utiliser la main de l’homme pour la finesse du jeu, pour les détails…

Aie, on arrive au bout des 20 minutes. Je voulais parler du premier Dragons. Parce que j’ai l’impression que c’est un tournant pour le studio. Ou en tout cas pour la perception qu’on en a eu. C’est le moment où on s’est dit que vous pouviez vous aligner sur les standards artistiques de Pixar. Que vous étiez capables de faire autre chose que de la comédie mainstream. Quand je vois un film d’animation de la concurrence, j’ai deux réactions. D’abord c’est l’inspiration. Quand je vois un truc bien, j’ai envie de m’en inspirer. La deuxième c’est la jalousie. Heureusement, je ressens plus souvent le besoin d’inspiration que la jalousie, mais ça m’arrive quand même. Je suis inspiré par le bon boulot. Je crois que Dreamworks fait des bons films et c’est comme ça que j’interprète le succès de nos films. Je ne peux pas vraiment répondre à votre question… En tout cas, c’est compliqué. Ce que je peux dire c’est qu’il existe différents critères pour juger du succès des films. Le box office c’est une chose. Et sur ce plan, on a eu à peu près autant de succès que Disney ou Pixar. 16 films furent des succès. On doit être à 500 millions de dollars de moyenne pour nos films. Ce qui est pas mal. On a eu la plus lucrative franchise de films d’animations avec Shrek, on a crée des personnages qui sont entrés dans la pop culture. Aussi bons que ceux de Pixar. Certains même mieux. Mais pour revenir à votre comparaison Pixar / Dreamworks, nos succès ne sont pas dépendants de leurs échecs. Est-ce que j’espère que les critiques vont aimer nos films ? Bien sûr ! Au moins autant qu’ils aiment les Pixar. Je serais débile de vous dire le contraire. Parce qu’il y a une chose que je ne cache pas. Que je ne peux pas cacher : je suis un compétiteur. J’aime la win. Et si j’arrive second, je vais me mettre à bosser. Parce que je n’aime pas être le deuxième. Je n’aime pas la deuxième place. La médaille d’argent ? Pas pour moi. Je vais te donner ma réponse cynique : « Quand on me montre un bon perdant, en fait je vois un perdant ». Je ne suis pas un bon perdant. Désolé.

Interview Gaël Golhen

Bande annonce de Dragons 2, dernier né de Dreamworks, le 2 juillet dans les salles :