Marvel Studios

Le bouclier de Captain America ou le marteau de Thor ont participé à forger la légende des super-héros au cinéma. Chez Marvel Studios, un homme, un seul, fabrique les props, ces accessoires devenus mythiques. On a donné rendez-vous à Russell Bobbitt sur le tournage d’Avengers : Infinity War.

Mise à jour du 23 avril 2018 : La sortie d'Avengers 3 approche, alors pour patienter, nous republions notre entretien avec "Mr. Props", faite sur le plateau du blockbuster des frères Russo.

Il a la cinquantaine joyeuse, une petite bedaine qui trahit le manque de temps pour aller à la salle de sport et les yeux rieurs du type qui s'amuse comme un gosse au travail. Dix ans que Russell Bobbitt (NDLR : au denrier plan sur la photo ci-dessus) est le "property master" de Marvel Studios, le créateur et gardien des "props", tous ces accessoires nécessaires au tournage des films de la Maison des idées, du bouclier de Captain America au marteau de Thor. « Pour résumer, mon travail est de fournir tout les objets qui peuvent être en contact avec les acteurs. Ça peut aussi bien être de la nourriture, des armes, des lunettes ou des montres », nous confie-t-il à deux pas d'un hangar géant où les frères Russo sont affairés à mettre en boîte Avengers : Infinity War. « Donc je lis le script et je fais une énorme liste de props dont on aura besoin. Elle est ensuite envoyée aux illustrateurs, qui imaginent les concepts arts ». Puis direction la fabrication en elle-même. « Généralement, tout ça se fait en deux ou trois mois. On utilise évidemment des imprimantes 3D - j'en ai quatre qui tournent 24 h sur 24 - mais aussi beaucoup d'artisans, de peintres et de maquettistes. À l’ancienne ».

En tout, Russell Bobbitt est responsable de plus de 10 000 accessoires d'importance variable, stockés entre un immense coffre à jouets de 9 000 m2 à Los Angeles (où reposent les objets qui ne sont pas utilisés pour le moment) et un autre entrepôt plus modeste de 900 m2, à Atlanta, où Marvel a installé ses studios. Ce pilier de l'univers cinématographique Marvel - dix films au compteur - est dans le métier depuis 35 ans, mais avoue n'avoir jamais connu un challenge comme le dytique Avengers : Infinity War / Avengers 4. « Au quotidien, j'ai quatre caravanes pleines à ras bord qui se déplacent entre les différents plateaux, parce qu'il y a tellement de super-héros qu'on n'a pas l'espace pour tout stocker. Un casse-tête ! »

« Tout peut potentiellement revenir un jour »

Car une fois sur le tournage, Russell et ses équipes sont chargés de la logistique : ils doivent apporter le bon accessoire, au bon moment et au bon acteur, directement de « la main à la main ». Et surtout le récupérer au plus vite après la scène, pour s'assurer qu'il ne disparaisse pas « mystérieusement »… « J'ai développé une relation de confiance avec les acteurs, généralement ils me préviennent : 'Je crois que cet objet va repartir avec moi ce soir’. (Rires) Quand leur demande est raisonnable, Marvel s'arrange pour leur offrir en fin de tournage. Certains abusent : si je n'ai que qu'un seul exemplaire d’un objet comme le fusil de Rocket Raccoon, qui a coûté 75 000 dollars à fabriquer, ce n'est même pas la peine de demander ! ». 

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Il faut également gérer la casse. « Les props sont balancés, ils se cognent… La durée de vie moyenne d'un bouclier de Captain America est de seulement trois scènes. Il m’en faut donc 40 par film ! Et je dois m'assurer qu’il est toujours raccord : on doit souvent user des props neufs pour faire le lien avec la prise précédente ». Mais ceux qui ont fait leur temps ne partent pas à la décharge. Russell Bobbitt tient à les conserver, au cas où. « Tout dans l’univers Marvel peut potentiellement revenir un jour, comme lors d’une scène de flashback. Je dois être prêt ».

« T'en fais pas, personne ne le verra »

Pour les besoins d'Avengers : Infinity War, Russell Bobbitt a dû fabriquer le Gant de l'infini, pièce iconique des comics, qui permet à Thanos d'utiliser les Pierres d'infinité. « On l'a fait entièrement à la main. Je vous le dis sans rougir, c'est une oeuvre d'art. À chaque fois que je le sors, il y a un silence de cathédrale sur le plateau. Et puis tout le monde fait ‘aaaah’. (Rire) Je l'ai pensé comme un personnage du film à part entière. Il y a eu des mois et des mois de discussions sur l’endroit où devait aller chaque Pierre, quelle couleur utiliser : plus jaune, moins jaune, plus brillant, moins brillant… » Et Josh Brolin, qui incarne le Titan Fou à l’écran, a même eu droit à une version très spéciale pour le tournage : « Évidemment, Thanos est plus massif que Josh. Donc j'ai fait une réplique exactement à sa taille pour qu'il puisse l'enfiler et jouer avec. Elle ne sera jamais dans le film, mais ça l'aide pour sa performance. »

Le design d’origine du gant remonte à Thor premier du nom. À la base un petit clin d'oeil, sans incidence sur l'histoire. « Ils m'ont dit : 'T'en fais pas, ce sera dans le fond, personne ne le verra'. Je n'étais pas du tout lecteur de comics, ça ne m'évoquait pas grand-chose. J'étais loin d'imaginer il y a dix ans que ce gant aurait un jour son propre long-métrage. Et évidemment beaucoup de fans l'ont immédiatement remarqué ! » Des aficionados que Russell respecte éminemment mais pas au point de le faire dévier de son nécessaire travail d'adaptation : « Certains aimeraient que je reprenne tel quel le design des comics. Sauf ça ne marche pas de cette manière au cinéma. On doit faire des choix pour que ça fonctionne visuellement à l’écran ». 

 

Quand on lui demande quel est son prop préféré, il joue les timides, tente de noyer le poisson. Avant de lâcher dans un rictus : « Je suis très fier du réacteur miniaturisé (NDLR : arc reactor en VO) de Tony Stark, qu'on avait réalisé pour le premier Iron Man. Quand on prépare une nouvelle version - on a dû en faire au moins dix - je vais chez Robert Downey Jr. à Malibu, et on discute de son look et de son fonctionnement. Robert adore parler de tout ça. Et chaque jour de tournage, c'est moi qui place le réacteur personnellement sur son torse. On est devenu très proches au fil des ans grâce à ce prop. Il est très, très spécial pour moi ».

Bien conscient d'être assis sur un trésor de guerre hors de prix, Russell Bobbitt se fait subitement moins volubile quand il s'agit d'évoquer le montant total de ses créations (« Marvel n'aime trop que je parle de mon budget », élude-t-il). Il consent tout de même à lâcher qu'un « bouclier de Captain America coûte environ 25 000 dollars pour le prototype, puis 5 000 dollars à chaque fois. Le Gant de l'infini vaut à lui seul entre 60 000 et 65 000 dollars. Et je peux vous dire qu'on a fait une scène il y a deux jours où en gros tous les héros étaient présents. J'ai fait le calcul dans ma tête : il y en avait pour plus d'un million de dollars en props dans la pièce. C'était génial ! »