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Créateurs d’Un Village Français, Emmanuel Daucé et Frédéric Krivine décryptent pour nous les derniers épisodes de la série, diffusés à partir de ce jeudi sur France 3. Attention aux légers spoilers.
 

Après huit ans d’existence, Un Village Français tire sa révérence avec six épisodes qui seront diffusés à partir du 16 novembre sur France 3. Dans cette conclusion magistrale, la série navigue entre les époques pour exposer les états d’âme de personnages hantés par leurs souvenirs de la Deuxième Guerre mondiale. Aux flash-backs de la première partie de la saison 7 succèdent ainsi des flashforwards qui rebattent les cartes narratives et émotionnelles. L’occasion pour le producteur Emmanuel Daucé et le scénariste Frédéric Krivine (créateurs avec Philippe Triboit d’Un Village Français) de dresser le bilan de cette série historique en passe de devenir culte et de nous livrer les clés d’un épilogue aussi audacieux que réussi. 


Quelle tonalité souhaitiez-vous développer dans ces six derniers épisodes ?

Frédéric Krivine : Dans Un Village Français, il y a toujours eu une dimension historique qui doit en même temps recouvrir la problématique privée des personnages. Dans ces derniers épisodes, il y a ainsi une volonté historique de montrer le souffle qui continue de retentir dans le monde entier longtemps après la Deuxième Guerre mondiale. Quand on fait par exemple une séquence au sujet de la sécurité sociale, cela consiste à illustrer le retentissement qu’ont encore aujourd’hui en France les années d’Occupation. Mais il faut aussi trouver une forme narrative qui réponde de façon harmonieuse au fond. Et comme il s’agit là de la fin de la série, cela me semblait intéressant de voir la fin des personnages. Il y a ici quelque chose de l’ordre de la marche funèbre.

Emmanuel Daucé : La fin d’une série représente de toute façon toujours une sorte d’enterrement. C’est même une des raisons pour lesquelles j’ai voulu faire des séries : quand j’ai vu Twin Peaks à 16-17 ans, c’était ma première vraie expérience de deuil, j’ai ressenti la fin comme une véritable mort quand j’ai réalisé que je ne reverrai plus jamais la femme à la bûche ni Cooper. Cela faisait donc un petit moment que je me disais que la conclusion d'Un Village Français devait être un enterrement, mais joyeux. Car si les fans pourraient nous en vouloir de nous arrêter maintenant, montrer des flashforwards dans le futur est justement une manière de penser au public. On lui dit ce qu’il se passe dans la vie des personnages après la guerre et les téléspectateurs n'auront ainsi pas l’impression d’être abandonnés.

Comment ont été conçus ces flashforwards ? On se demande lors du premier d’entre eux si on assiste au fantasme d’une employée de la scierie ou si l’on voit réellement le futur.

Frédéric Krivine : C’est intéressant que vous l’ayez perçu comme ça parce qu’on a effectivement eu un moment d’hésitation pour savoir si on mettrait en scène des visions fantasmées des personnages de 1945 qui s’imaginent un avenir ou si l’on montrerait vraiment le futur en prenant un point de vue objectif. Dans un premier temps, j’étais pour le fantasme et les visions mais je me suis rendu compte que les téléspectateurs risqueraient de s’ennuyer poliment dès qu’ils auraient compris que ce que l’on voit n’est pas ce qui arrive réellement. Mais on a conservé coûte que coûte la volonté de départ qui consistait à ne pas plonger les personnages dans de grands évènements historiques connus (comme mai 1968) mais à montrer leurs évènements à eux. On s’intéresse en revanche au cours historiographique des choses : c’est pour cela qu’on a notamment choisi l’année 1975 car, même si on n’y fait pas allusion directement, la façon de raconter l’Histoire de la guerre change à cette époque.

Emmanuel Daucé : On a en effet choisi des dates de flashforwards qui correspondent à des moments de relecture de l’Histoire. Plusieurs personnages s’interrogent sur la validité des actes qu’ils ont commis pendant la guerre et découvrent comment leurs actions sont jugées par l’époque dans laquelle ils vivent désormais. On choisit donc de les montrer en 1975 parce que, 30 ans après la fin de la guerre, la vision historique de l’Occupation en France commence à basculer avec les travaux de Jean-Pierre Azéma et ceux de Robert Paxton sur la France de Vichy. On passe de l’image d’une France complètement résistante à celle d’une France entièrement collabo. Et puis ces six épisodes s’aventurent aussi dans les années 2000 et 2003, c’est à dire quasiment aujourd’hui, à un moment où les dernières personnes qui ont vécu cette période sont en train de disparaître. On avait ainsi l’habitude de faire après la diffusion de chaque épisode de petits documentaires où l’on montrait des visages de survivants. Mais on ne peut plus le faire maintenant car il existe de moins en moins de témoins de l’époque. Entre le début de la diffusion d’Un Village Français et sa conclusion, on a vécu une vraie décennie de passage et la fin de la série traite clairement de la perception, aujourd’hui en 2017, de ce qu’était l’Occupation.

La série Un village français s'achève de façon magistrale

Peut-on dire que ces ultimes épisodes expriment une vision désenchantée de la France de l’après-guerre ? Plusieurs séquences sont particulièrement sombres.

Frédéric Krivine : Si on regarde Daniel Larcher (Robin Renucci), on voit un type certes un peu aigri mais ce n’est pas le désenchantement total. Le plus important dans la série, c’est cette vision de l’Histoire dans laquelle les grands évènements ne sont pas des choses figées qui arrêtent la vie mais qui au contraire la traversent. Et je trouve qu’on le ressent particulièrement bien dans ces derniers épisodes. On montre aussi comment, dès que la paix est revenue en 1945, la fraternité de la résistance (qui a effectivement existé pendant deux ou trois ans) s’efface devant les considérations classiques des affrontements sociaux et de la lutte des classes. C’est le sens de la séquence où les CRS discutent entre eux de leurs pensions de retraites. Alors bien sûr que la série conserve sa vision relativement pessimiste de la destinée humaine, mais les sentiments sont quelque peu mêlés.

Aviez-vous des références précises en tête durant la conception de cet épilogue ?

Frédéric Krivine : Il faut déjà savoir qu’on a fait bouger plusieurs séquences au montage. C’est souvent comme ça avec Un Village Français mais là c’était encore plus que d’habitude, des scènes prévues pour l’épisode 1 ou 2 se retrouvent par exemple dans l’épisode 3 ou 4. Le chevauchement des storylines et des époques était un peu complexe mais on est au final très heureux de ces six épisodes parce qu’on a l’impression d’avoir créé la première série chorale multitemporelle. Au niveau des références, on peut ainsi citer Il était une fois en Amérique : quand le Daniel Larcher âgé vient voir Hortense assise sur son banc dans le premier épisode et qu’on constate qu’il subsiste, trente ans après, toujours une forme d’amour et de lien, il me fait beaucoup penser à Robert De Niro dans le film de Sergio Leone. On a aussi beaucoup utilisé le syndrome Titanic, qui consiste à tenter de captiver le public avec une histoire dont il connaît pourtant déjà l’aboutissement. Titanic n’était évidemment pas le premier film à faire ça, mais c’est un principe qui peut être très puissant. Car on rentre là dans un espace dramatique très particulier, où l’on manie un type d’émotions qui vient plutôt du cinéma d’auteur. Je trouve que cela fonctionne bien ici, notamment dans les scènes d’hôpital psychiatrique situées en 1945, qui arrivent à nous captiver. Mais on a quand même maintenu un suspense sur certains personnages comme Jules Bériot (François Loriquet) ou Raymond Schwartz (Thierry Godard), l’idée étant de conserver un équilibre entre ce que le public attend en matière de dramaturgie et les éléments thématiques qu’on a envie d’exprimer. On reste sur les fondamentaux : chaque épisode doit avoir une intrigue structurante qui avance.

Qu’est-ce qui, entre le projet initial élaboré il y a plus de dix ans et le visage final d’Un Village Français, a été le plus inattendu ?

Emmanuel Daucé : Au départ, je pensais que la série proposerait uniquement une histoire des Français sous l’Occupation. Et je n’avais pas du tout prévu que, petit à petit, la série commencerait à se référer à elle-même, à s'interroger sur l'art du récit et à montrer comment chaque personnage finit par construire individuellement sa propre histoire et par être le scénaristes de sa propre vie. Car l’idée originelle était vraiment de raconter le destin de divers protagonistes pendant la Deuxième Guerre mondiale afin que le public d’aujourd’hui puisse établir une connexion et réaliser qu'il se trouve lui aussi régulièrement confronté aux même types de choix, même si ces situations de choix sont beaucoup moins dramatisées aujourd’hui qu’elles ne l’étaient à l’époque. La dimension plus réflexive est venue en cours de route, une fois que le public nous savait gré de notre honnêteté sur les situations historiques et nous autorisait à aller plus loin. Cette dimension méta s'est aussi accompagnée d'une évolution formelle : si on a volontairement adopté au départ une forme naturaliste pour être proches des personnages, on a quitté le naturalisme au fur et à mesure que la série prenait un tour réflexif. C’est de toute façon dans l’ADN d’une série historique de se demander pourquoi on raconte l’Histoire et de montrer comment les personnages se racontent une histoire. Car l’Histoire, à l'automne 1945, c’est déjà une réécriture de l’Histoire. C'est ce qu’on appelle le miracle de Charles de Gaulle, qui était clairement le plus grand showrunner français.

Certains téléspectateurs ont parfois été désarçonnés par le rythme de diffusion de la série. Est-ce un élément à prendre en compte à l’heure du bilan ?

Emmanuel Daucé : Tout a commencé en  2005, à une époque où la France avait encore une connaissance assez limitée des séries télé. On a présenté Un Village Français à France 3 et, alors que le projet aurait très bien pu être perçu comme une minie-série ou un feuilleton de prestige, j’ai tenu à le présenter tout de suite comme une série au long cours, aux coûts maîtrisés mais qui n’a d’intérêt que dans le temps long vu son sujet. Par contre, il y a probablement une discussion qu’on aurait pu avoir au début avec France 3, où l’on aurait décidé d’un commun accord de faire 10 épisodes par an avec la garantie de les livrer chaque année à la même date. On aurait alors été diffusé avec une parfaite régularité. Mais on n’a pas eu cette discussion. Notre projet était donc de faire des saisons de 12 épisodes et on a réussi à un moment à produire ces 12 épisodes en 14 mois. Et, alors qu’on était la série la plus rapide en France, on nous disait qu’on était tout le temps en retard, ce qu’on a vécu comme une injustice. Cette durée était aussi liée à notre ambition de qualité : si on avait voulu tourner plus vite, c’était possible mais en bâclant les épisodes. Et on n’avait pas envie de ça.

Pour finir, qu’est-ce qu’Un Village Français a selon vous apporté au paysage des séries hexagonales ?

Emmanuel Daucé : Avec Un Village Français, on ne voulait pas juste faire une superbe saison et voir ensuite ce qui arrivera, mais bien réussir à produire plusieurs saisons en tenant la distance. Il y a évidemment des épisodes meilleurs que d’autres, il y a peut-être certaines scènes ratées, mais je voulais qu'on puisse se dire que les épisodes d’Un Village Français sont d’une qualité régulière et que c’est une œuvre globale. Car on ne juge une série qu’à l’aune de toutes ses saisons. On avait ni plus ni moins comme projet de marquer notre époque. C’est différent du cinéma, où un film cherche en principe à rester dans l’Histoire et à être possiblement vu 20 ou 30 ans après. Mais quand on fait une série, justement parce que c’est une œuvre globale et longue, on veut que les téléspectateurs se souviennent à l’avenir de l'époque où ils regardaient Un Village Français et se disent « J’adorais, car je regardais avec ma grand-mère » ou « C’est la série qu’on regardait toujours avec mon frère et ma sœur ». J'avais en tête ce type de rapport que permet la télévision, ce lien fort qui devient aussi rapidement du souvenir et de la nostalgie. Cela impliquait d’emblée des choses très concrètes en matière de production, concernant le choix des comédiens ou l’investissement dans les décors, afin qu’on puisse vite revenir avec la saison suivante. Car la pensée purement cinématographique empêche de devenir une série au long cours et de tenir la distance. 

Frédéric Krivine : L’originalité réelle d’Un Village Français c’est au départ sa durée. Faire une oeuvre sur l’Occupation n’était pas nouveau en soi (il y a eu des films remarquables comme Les Honneurs de la guerre de Jean Dewever) mais vouloir dessiner une fresque qui met en scène toute une communauté de personnages dans ce moment exceptionnel nous permettait de rénover l’approche du sujet. On voulait dès le départ faire 72 épisodes et on a tenu ce pari. Et on n’a jamais baissé au niveau de l’intensité globale : quand on fait une série, il faut accepter qu’il y aura des épisodes plus ou moins réussis, mais il n’y a jamais eu un moment où on s’est mis à ronronner ni à nous reposer sur nos lauriers. Ensuite, il y a évidemment des multitudes de contraintes qui font partie du travail et du cadre sériels. Disons que ce que je regrette vraiment - et pour le coup on n’y est pour rien - c’est qu’on n’a pas l’impression qu’il y aura cinq ou six Un Village Français dans les prochaines années. On n’a pas forcément fait école ni irradié dans la façon de travailler en France. Car si vous voulez qu’une série laisse une trace auprès d’une génération, cela commence selon moi au bout de cinq saisons. Je parle de cinq saisons d’une qualité équivalente, comme pour Breaking Bad ou The Wire. Il faut des gens qui aient du talent et qui soient prêts à rester longtemps sur un projet. Les Américains nous ont montré que c’est difficile de transmettre et de passer le relais car il y a malgré tout une dimension très artisanale dans les séries à prétention d’auteur, même aux Etats-Unis. Vous pouvez toujours changer de showrunners mais en règle générale il faut être prêt à creuser un sillon pendant pas mal d’années. Voilà ce qu’il nous faut en France : des gens accros aux séries.

Les six derniers épisodes de la saison 7 d’Un Village Français seront diffusés à partir du jeudi 16 novembre sur France 3. Avec Robin Renucci, Audrey Fleurot, Thierry Godard, Marie Kremer, Constance Dollé et Éric Caravaca. Réalisation Jean-Philippe Amar.