Une aventure animée sexy et flamboyante dans la Terre du Milieu, mais qui reste trop inféodée à la trilogie de Peter Jackson pour voler de ses propres ailes.
C’est peut-être bien la bonne idée geek de l’année : tourner un spin-off du Seigneur des Anneaux façon anime. Une idée excitante, à défaut d’être totalement originale. En 1998, Hisao Tamaki dessinait une adaptation rigolote, et tout à fait adaptée, de Star Wars en manga, et la série anthologique Star Wars Visions laissait une bonne place à des auteurs japonais. Quoi qu’il en soit, l’idée porte en elle une belle promesse de cinéma : repeindre Tolkien aux couleurs de l’animation japonaise. Au fond, que le film nous révèle l’origine du nom du Gouffre de Helm, deux siècles avant la Guerre de l’Anneau, on s’en fiche un peu. Pour le dire plus simplement : le lore, on s’en tape, mais le style fait tout. Ça tombe bien, du style, La Guerre des Rohirrim en a à revendre.
Nous sommes donc chez les Rohirrim, au cœur d’une intrigue à la Roi Lear entre clans différents. Héra, la fille du roi Helm, doit protéger son peuple des visées guerrières de Wulf, fils d’un seigneur Dúnedain tué par Helm. Des héritages et des violences ancestrales qui vont se régler à grands coups de tours de siège dans la face. Du bon viking porn, en somme, qui n’aurait certainement pas dépareillé sur Netflix entre Castlevania et Twilight of the Gods de Snyder. Sauf que nous sommes au cinéma, que l’histoire se déroule sur grand écran, et que le réalisateur est le grand Kenji Kamiyama. Jusqu’ici, son grand fait d’armes était la série télé Ghost in the Shell : Stand Alone Complex, qui reprenait brillamment le flambeau de la franchise en continuant les expérimentations radicales exercées par Mamoru Oshii sur la BD de Masamune Shirow. Le très beau film d’aventures Hirune Hime, rêves éveillés (2017) avait permis à Kamiyama de sortir l’espace d’un moment de l’univers Shirow/Oshii, et montrait qu’il avait l’étoffe d’un auteur.
En comparaison, malgré sa beauté, son rythme et ses efforts, La Guerre des Rohirrim tient plus du travail de commande. Parce que le style Middle Earth écrase tout : la narration est assurée par Miranda Otto, la musique du Rohan est là, Philippa Boyens (scénariste de Jackson) et Fran Walsh produisent, des plans entiers sont copiés des films comme la charge des cavaliers tout droit sortie de la fin des Deux tours… L’héroïne grimpe même une paroi enneigée, presqu’exactement comme Galadriel dans le premier épisode de la Saison 1 des Anneaux de Pouvoir. Face à une telle démonstration de professionnalisme transmédia en matière d’IP, on se souvient du Seigneur des Anneaux (1978) de Ralph Bakshi, qui garde ainsi toujours sa singulière imperfection dans la vaste lignée des adaptations de Tolkien.
L’enjeu industriel est évident : il s’agit de continuer à maintenir en vie l’héritage esthétique et narratif de la trilogie de Peter Jackson, jusqu’à l’absurde. La preuve par la présence au générique de Christopher Lee, disparu en 2015, six ans avant la mise en chantier de ce projet. La Guerre des Rohirrim, comme Les Anneaux de Pouvoir, semble asséner que la vision de la trilogie cinéma est la seule valable pour donner vie à l’imaginaire de Tolkien. Le prochain film prévu, The Hunt for Gollum, devrait voir revenir Ian McKellen et Viggo Mortensen, dans une histoire censée se dérouler en parallèle de La Communauté de l’anneau… alors que les acteurs auront vingt-cinq ans de plus qu’à l’époque. Il est décidément plus facile de répéter que de créer, mais il est encore plus facile de faire de la répétition une règle. Ainsi Jude Law révélait que le cahier des charges de Star Wars : Skeleton Crew interdisait certains mouvements de caméra, au motif qu’ils n’étaient pas possibles en 1977.
A quand de nouveaux Saroumane, de nouveaux Rohirrim, une nouvelle Terre du Milieu ? Ce ne sera pas pour cette fois. Et c’est dommage, car le film parvient donc à transformer les Rohirrim vintage en créatures sexy, rivalisant de charisme, lors de duels flamboyants et romantiques qui évoquent la puissance épique des Chroniques de la Guerre de Lodoss, pour ne citer que le plus évident et le plus influent des animes de fantasy. On prfère penser qu'on se souviendra de La Guerre des Rohirrim pour sa vision des Aigles (de terribles colosses quasi divins) ou du dernier combat de Helm dans la neige : d’affolantes envolées, où l’aspect évoque le mythe, et où La Guerre des Rohirrim trouve une vraie raison d’être. Certainement pas dans l’asservissement à "l’insupportable poids de la Terre du Milieu" (Le Seigneur des Anneaux, livre V, chapitre 3).
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