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Jérôme Bonnell, qui vous avait déjà dirigée en 2007 dans J’attends quelqu’un, a écrit le film pour vous. Impossible de refuser ?Sauf si ça avait été mauvais. Avec Jérôme, je savais qu’il n’y avait aucun risque. Non seulement j’ai accepté, mais je lui ai également présenté Édouard Weil, qui a produit le film, par l’intermédiaire de mon agent.La pression est-elle plus forte pour un acteur quand un film est écrit pour lui ?Au contraire, on se glisse dans le rôle comme dans des chaussons. Il arrive aussi qu’on découvre des choses sur soi, sur ce qu’on dégage. Je me souviens de Sophie Fillières me déclarant fièrement : « Cette phrase, je l’ai écrite pour toi. » Il s’agissait de dire à Dussollier : « Ça va ? T’es tout mince... » (Rire.)Je vous cite : « Il n’existe pas de hasard dans le choix des rôles, on va inconsciemment vers des choses qu’on a envie de dire, à soi-même ou aux autres. » Donc...Le rôle d’Alix entre surtout en résonance avec Jérôme, qui a fait son Flaubert. Alix, c’est sa Bovary. Il a néanmoins pressenti que j’avais envie de me « déboutonner » un peu plus, d’aller vers le sentimental, le trouble. Je crois beaucoup à ces fluides qui passent entre les gens, entre les artistes en particulier.Diriez-vous que les personnages un peu cassés vous attirent ?L’intérêt n’est-il pas de parler de gens en situation de rupture ?Un personnage de comédie outrancier ne vous intéresserait pas ?C’est compliqué la comédie. Et puis je n’ai pas une nature comique qui saute aux yeux.Jérôme Bonnell pense le contraire...Dans son univers, c’est différent. Je rigole quand Alix se prend un poteau ou quand elle s’engueule avec sa soeur. En revanche, j’ai essayé deux fois de jouer du Feydeau, et ça a été une catastrophe ! Je ne suis pas comme Géraldine Nakache ou Valérie Lemercier, qui ont un bagout et une énergie incroyables. Ce sont des tempéraments, on n’y peut rien. Karin Viard, quand elle tousse dans un film, ça me fait rire !Parlez-nous de votre rencontre avec Gabriel Byrne. Tourner aux côtés d’une pointure internationale change-t-il quelque chose à votre façon d’appréhender le travail ou cela fait-il juste partie du métier ?Je ne vais pas mentir : Gabriel m’intimidait un peu. Il est si impressionnant. J’avais surtout peur de jouer en anglais, une langue que je ne maîtrise pas du tout. Gabriel non plus n’était pas à l’aise. Il n’a pas voulu me voir avant de tourner notre première scène, celle du train, qui est aussi celle où nos deux personnages se rencontrent. Ensuite, il nous est arrivé de papoter mais, globalement, il restait mystérieux et mutique, dans son rôle.Il a fallu gérer sa pudeur, notamment pour les scènes d’amour... Comment vous sentiez-vous de votre côté ?Très bien. Si j’avais ajouté de la gêne à la gêne, ça aurait été pénible. Du coup, j’avais tout le temps ma culotte sur la tête dans la chambre ! (Rire.) Gabriel, lui, remettait le drap sur moi dès qu’on voyait un sein.Le film explore, entre autres, le thème du désir, mais on ne vous voit pas nue. C’était une condition préalable ?Pour Jérôme, qui est un grand pudique, la question ne se posait pas. Il n’aurait de toute façon pas voulu montrer la femme nue sans l’homme. Et Gabriel n’avait pas non plus l’intention de jouer dénudé...Il y a deux ans, vous avez déclaré que vous vous trouviez moins intéressante comme actrice. Qu’en est-il aujourd’hui ?C’est très dur d’en parler. J’ai tourné ce film à un rythme cardiaque qui n’est pas le mien, dans un état amoureux permanent. J’ai été bouleversée par le résultat, j’ai pleuré pendant deux jours.J’ai lu beaucoup d’interviews dans lesquelles vous pestiez contre le cinéma français qui « ne propose pas de beaux rôles féminins ». Était-ce un cri de révolte ou de désespoir ?De révolte. Je ne disais pas ça pour moi mais en général. Je constate d’ailleurs que les choses n’ont pas beaucoup changé. Où sont les films comme L’Histoire d’Adèle H. ? Ceux avec Romy Schneider ?Selon vous, le cinéma français manque de films comme Louise Wimmer, de Cyril Mennegun...Je ne l’ai pas vu, mais sûrement. C’est dur de changer les mentalités. Par exemple, je vais faire le prochain film d’Anne Le Ny, dans lequel je partage l’affiche avec Karin Viard. Eh bien on a eu beaucoup de mal à trouver un acteur – en l’occurrence Roschdy Zem – qui accepte d’être un peu en retrait par rapport à nous, alors que le personnage en question est assez important. Le cinéma est dominé par les rôles masculins, c’est comme ça.Arnaud Desplechin dit à votre propos que vous avez de l’ambition pour le cinéma et moins pour vous. Vous confirmez ?Pour moi, il y a deux catégories : les cinéastes et les gens qui font des films. Je préfère travailler avec des cinéastes, mais ce n’est pas toujours possible, sinon je ne tournerais que tous les deux ans. Je trouve d’ailleurs incroyable qu’à chaque interview, on me demande si je veux passer à la réalisation. Comme si c’était facile ! Ce n’est pas parce qu’un acteur névrosé va lâcher des trucs sur sa famille que c’est un cinéaste.Et le cinéma populaire dans tout ça ?Je suis très cliente. J’ai récemment eu un coup de coeur pour Radiostars, de Romain Levy. Manu Payet est un génie, il ne surjoue rien. Le réalisateur, lui, est un vrai cinéaste. Il travaille ses personnages et ses situations. Je lui ai envoyé un texto tellement j’ai adoré.Qu’avez-vous pensé de la polémique sur le salaire des acteurs ?J’ai trouvé ça dur de taper sur une profession où seule une poignée de stars touche des cachets d’un million. Pour les personnes concernées, c’est beaucoup, mais en même temps, si on y réfléchit bien, quand une Audrey Tautou tourne un film, il est vendu partout dans le monde. Ça a une valeur. Il faut juste faire attention à la répartition du budget : si l’équipe est à - 20 % et que l’acteur est surpayé, c’est embêtant.En 2009, vous disiez écrire un scénario, dont on n’a ensuite plus eu aucune nouvelle...Je n’écris rien de précis. J’ai parfois des idées que je soumets à certains réalisateurs. À l’époque dont vous parlez, j’avais rencontré un scénariste qui m’avait assuré que si on se voyait tous les jours, à un moment donné, « ça sortirait ». Mais ce n’est jamais arrivé ! Chacun son boulot...Votre truc, c’est d’être une interprète ?Oui, mais évacuons un malentendu : je participe à la création de mes personnages. Je ne me vois pas comme une marionnette. Certains acteurs se sentent dépossédés de leur part de création et vont vers la réalisation à cause de ça. Je peux le comprendre.Dans le contexte actuel, le cinéma d’auteur fragile d’un Bonnell est-il en danger ?Non, parce que ses films ne coûtent rien. Deux millions pour Le Temps de l’aventure, je crois. Il n’a pas besoin d’un nombre d’entrées important. On se plaint, mais aux États-Unis, c’est pire. Je suis en contact avec un réalisateur américain qui m’a proposé deux fois un projet qu’il n’arrive pas à monter. Ils n’ont pas le CNC ou une loterie nationale comme en Angleterre. Notre système est quand même magnifique. Regardez tous ces grands films cannois coproduits par la France... Arrêtons de dire que ça coûte de l’argent aux gens – ce qui, en plus, est faux – et réjouissons-nous.Un projet américain ? Et votre anglais, alors ?Ça ne dérange pas le réalisateur. Avec un bon coach, on arrive à tout !Interview Christophe NarbonneLe Temps de l'aventure, de Jérôme Bonnell, avec Emmanuelle Devos et Gabriel Byrne, aujourd'hui dans les salles.