Peu de choses semblent réunir L’Extraordinaire Voyage de Marona, Le Voyage de Monsieur Crulic et cette Ile. Peu de choses si ce n’est l’incroyable talent de la cinéaste roumaine Anca Damian à déployer son imaginaire pour raconter le réel, et en révéler la complexité à travers la fable ou le conte. Ici, Damian adapte une pièce de théâtre basée sur le mythe de Robinson Crusoe. Son héros est un médecin qui vit de solitude et de soleil sur son ile à l’écart du monde. Mais brusquement, son quotidien est bouleversé par l’arrivée de migrants et, parmi ceux-là, d’un homme qu’il va secourir du naufrage et appeler Vendredi. Très vite, Robinson et Vendredi partent en quête du paradis…
Fable hybride, par ses techniques d’animation qui mélangent 2D et 3D (en 2D les personnages et la nature, en 3D tout ce qui a été transformé par l’homme) et par le mélange entre comédie musicale et tragédie, L’Île joue avec des références culturelles célèbres. Mais c’est pour mieux les détourner : si l’on croise une belle sirène, elle a une queue en plastique ; la grand-mère des contes est ici une araignée géante ; et Marie n’est pas la mère du Christ… En recyclant tous ces archétypes, en les concassant façon surréaliste dans un univers enchanté (un peu à la manière des Monty Python), Damian offre un regard perçant sur la crise morale de notre monde contemporain. Crise migratoire, pollution, capitalisme exacerbé, esclavagisme sont décrits avec une poésie qui frise l’absurde et qui permet d’entrevoir, comme en négatif, la crudité, la noirceur et l’enfer de notre réel.