Mi-western moderne, mi-SF philosophique, la nouvelle série d’Amazon pose dans ses deux premiers épisodes les bases d’un mystère séduisant.
A Hollywood, aujourd’hui, tout le monde veut son Yellowstone. Totalement ignoré en France, le néo-western avec Kevin Costner est un tel carton aux Etats-Unis (10 millions de spectateurs ont regardé le final de la saison 4 sur Paramount + en janvier dernier) qu’il a imposé son auteur Taylor "Sicario" Sheridan en nouveau pape de la télé US – une sorte de Ryan Murphy en santiags. La série est considérée comme un game changer, esthétique autant qu’industriel – s’attendre en conséquence à voir plein de séries western débouler dans les prochains mois, et plein d’idoles ciné sur le retour intégrer l’écurie Sheridan (Stallone tourne par exemple en ce moment dans son giron le polar Tulsa King, sur un mafieux italo-américain qui relocalise ses activités dans le Missouri).
Si on fait exception du spin-off 1883 (avec Sam Elliott, le cow-boy qui n’aime pas trop The Power of the Dog), Outer Range, show Amazon Prime Video créé par le dramaturge Brian Watkins, est sans doute la première série d’importance de cette déferlante post-Yellowstone. Josh Brolin n’est certes pas tout à fait une icône déclinante à la Kevin Costner – on peut même raisonnablement estimer, après Deadpool 2 et son run en Thanos dans le MCU, qu’il n’a jamais été aussi populaire qu’aujourd’hui. L'acteur s’est donc un peu vieilli (la barbichette blanchie, les épaules légèrement voûtées) pour être crédible en éleveur du Wyoming grognon et fatigué – et grand-père qui plus est.
Son personnage, Royal Abbott (quel nom !), est en conflit avec ses voisins, qui lui disputent la propriété d’une partie de ses terres. Sa belle-fille a mystérieusement disparu, une intrigante voyageuse jouée par Imogen Poots vient faire du camping près de son ranch, un homicide commis par l’un de ses fils va mettre une intrigue policière en branle, mais surtout, surtout, Royal découvre bientôt, aux confins de sa propriété, un immense trou noir. Un puits sans fond, géant, énigmatique, le narguant de son mystère et de sa démesure. Le genre de phénomène SF bizarroïde qu’on croise plus généralement dans une création de Damon Lindelof que dans un feuilleton sur des garçons vachers.
Qu’est donc cet abysse qui fixe Josh Brolin ? Un portail temporel ? Une allégorie de l’absence de Dieu dans les étendues sauvages de l’Ouest ? Une métaphore du déclin de l’empire américain ? La réponse viendra, peut-être, au bout de huit épisodes. Les deux premiers mis en ligne sur Prime Video posent en tout cas les bases d’un mystère solide, séduisant. Poursuivant une carrière en grande partie consacrée à souffler sur les braises d’un genre moribond (de No country for old men à True Grit en passant par Jonah Hex), Josh Brolin tient la baraque avec son habituelle séduction bougonne. Les quelques signes de loufoquerie glissés ici et là (le fils weirdo du ranch voisin qui chante du Whitney Houston en slip kangourou devant son miroir) font craindre une tendance à la bizarrerie surlignée, à la zinzinerie préfabriquée – écueil classique des séries SF intellos. Mais l'image de ce trou noir au milieu des plaines du Wyoming est indéniablement puissante. La force initiale d’Outer Range est de réussir à inscrire son récit dans une histoire immémoriale, de faire retentir l’écho des angoisses apocalyptiques contemporaines au beau milieu de la pastorale américaine, en observant un cow-boy soudain pétrifié de stupeur, quand il comprend que les mythes qu’il tenait pour éternels ne sont finalement pas grand-chose à l’échelle de l’histoire du monde. Et qu’ils seront peut-être bientôt engloutis dans le néant.
Outer Range, de Brian Watkins, avec Josh Brolin, Imogen Poots, Lili Taylor… Sur Amazon Prime Video, deux épisodes par semaine à partir du 15 avril.
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