Star Wars 4 poster
Lucasfilm

Comment la saga est née lors d'un dîner...

A l'occasion de la rediffusion d'Un nouvel espoir, à 21h15 sur TMC, retour sur les racines de la saga de George Lucas et sur le moment précis où Jack Kirby, l’un des piliers fondateurs de Marvel comics, a dessiné les grandes lignes de Star Wars.

Mark Hamill réagit à la vidéo de sa toute première audition pour Star Wars

Pour les amateurs de comics, Jack Kirby est une légende. Un Dieu du dessin, la figure la plus adulée de la BD américaine, un titan aux centaines de créations et aux coups de crayon éblouissants. Avec Stan Lee aux scénarios, il a inventé l’univers Marvel et, par ricochet, a façonné l’industrie des superhéros du cinéma d’aujourd’hui. On doit au « King » (son surnom officiel) Les 4 Fantastiques, les X-Men, Captain America, The Avengers, Hulk, Iron Man, Thor... Oh, et aussi Star Wars.

"Chewie, mets la gomme !" Parlez-vous la Guerre des étoiles des origines ?

Retour en arrière. En 1971, Jack Kirby sort d’un conflit avec Stan Lee concernant la propriété des personnages qu’ils ont bâtis ensemble, ce qui l’amène à claquer la porte de Marvel. Il s’apprête à publier New Gods chez DC Comics, son nouvel éditeur, une fresque mythologique qui va mettre un point définitif au genre des superhéros et chamboulera à jamais le monde de la SF. Un soir, Edward Summer, propriétaire du magasin new-yorkais Supersnipe Comic Art Emporium, l’invite à dîner avec un certain George Lucas. Kirby doit le savoir : ce dernier est un jeune cinéaste passionné de BD. Ami d’enfance de Summer, il a même discrètement investi dans cette galerie où des planches sont vendues en direct au public. Quand on sait comment la machine Marvel broyait les créateurs, refusant de leur donner des royalties ou des droits d’auteur sur leurs personnages, cette solution offrait une appréciable source de revenus alternative aux artistes. Kirby se rend peut-être au dîner dans l’espoir de vendre quelques dessins au cinéaste, mais toujours est-il que, selon la légende, au cours de la soirée, la conversation glisse sur les projets de Lucas. Il vient de finir dans la douleur THX 1138, avoue son admiration au King et trace les grandes lignes de l’ambitieux space opera (déjà intitulé The Star Wars) qu’il a en tête. Face à lui, Kirby dévoile les plans de New Gods. Son héros, Mark Moonrider, doit affronter le mystérieux Darkseid, qui veut conquérir l’univers à partir d’une planète appelée Apokolips. Au cours de ses aventures, Moonrider découvrira qu’il possède un étrange pouvoir (La Source), qu’il a un jumeau dont il a été séparé à la naissance et que Darkseid est en fait son propre père. Ça ne vous rappelle rien ?

Fatalis
Marvel

 

L'attaque des Clones

Si ce dîner fait encore l’objet de vifs débats entre les fans de Kirby et ceux de Star Wars – fantasme ou réalité ? –, l’influence du dessinateur sur la saga de Lucas est quant à elle indéniable. Sa volupté visuelle, son sens inné de l’action et son instinct graphique ont forcément frappé le réalisateur. Mieux : au cœur même de la création de Star Wars, on trouve le premier comics Marvel, Les 4 Fantastiques. Il suffit de regarder les personnages pour voir à quel point Lucas s’en est servi pour modeler ses héros : La Chose est le « patron » de Chewbacca ; La Torche humaine sert de matrice à Luke Skywalker ; La Femme invisible est une Princesse Leia en puissance et Mister Fantastic partage beaucoup de traits avec Han Solo. Quant aux méchants, ces deux icônes maléfiques que sont Dark Vador et Doctor Fatalis, leur juxtaposition donne l’impression de voir double. Mark Hamill, qui prêta ses traits à Skywalker, est le premier à reconnaître ces emprunts. Grand fan de comics, il a rencontré Jack Kirby à plusieurs reprises :

« Je me souviens surtout d’une fois où Jack m’avait invité chez lui. Avec son cigare, il ressemblait à un sosie de Samuel Fuller Fury et on le prenait pour un rustaud. Il était pourtant très humble, à tel point que, sans connaître son travail, il était difficile d’imaginer son statut de légende. Je me souviens d’avoir beaucoup plaisanté avec lui et je lui ai même dit que la première fois que j’avais vu Dark Vador, j’avais pensé : “Mais c’est Fatalis !” (Rire.) Cependant, il n’a jamais crié au scandale, ni dit devant moi que Lucas lui avait piqué ses idées. Non. Il était conscient de son savoir-faire et de sa place dans la pop culture et je crois que ça lui suffisait. »

 

Quand Alec Guinness ironisait sur Star Wars dans une lettre

Echanges de bons procédés

Pour Mike Thibodeaux, qui a beaucoup collaboré avec Kirby durant ses dernières années, le dessinateur avait bien évidemment relevé les emprunts de Star Wars à son univers (pour les complétistes, on rajoutera que le mentor Himon fait beaucoup penser à Obi-Wan Kenobi et que les Mega Rods sont sans doute à l’origine des Sabrolasers), mais sans jamais envisager de se lancer dans un procès. « Lucas a piqué ces idées comme moi je l’ai fait dans 450 vieux romans et autant de comics », avait coutume de dire le King. Ahmet Zappa, le fils de Frank, confirme à qui veut l’entendre cette impression. Kirby venait régulièrement chez son père au moment de la sortie de L’Empire contre-attaque (Irvin Kershner, 1980) – Lucas avait proposé à Zappa de composer la musique de Star Wars –, et Zappa Jr. affirme qu’« il voyait les parallèles directs entre son œuvre et Star Wars, les arcs des personnages, la saga dans son intégralité », mais qu’il ne nourrissait aucune rancœur. Pour Bruce Timm, créateur des séries animées Batman, « L’influence de Kirby sur Star Wars est évidente. Les similarités sont nombreuses, ça fait forcément réfléchir... En même temps, personne n’a questionné Lucas sur le sujet. Ce qui est certain, c’est que les New Gods ont eu un impact sur Star Wars et qu’ils ont forcément influencé le film. » Lucas devait pourtant se sentir redevable envers le King. C’est sans doute la raison pour laquelle il proposa à Marvel de publier les comics Star Wars presque deux ans avant la sortie du premier film en 1977. Jim Shooter, éditeur en chef de Marvel de 1978 à 1987, raconte que le succès de ces publications aurait même sauvé la société de la banqueroute (à cette période, Marvel était fréquemment rachetée par de plus grosses entités et changeait sans arrêt de mains).

DR

 

Pour le meilleur et pour l'Empire

Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur Star Wars, mais il ne fait aucun doute que l’une des clés du succès de la trilogie originale de George Lucas fut la volonté de reprendre des thèmes et une esthétique tirés de ce qui, à l’époque, était considéré comme la fange de la culture américaine (les serials et les comic books) et de mettre en scène ce que le jeune public fatigué du cinéma de papa rêvait secrètement de voir sur grand écran. À l’instar d’Andy Warhol et de Roy Lichtenstein, Lucas s’est servi du visuel restreint du comic book et du sens de l’expérimentation de Kirby pour alimenter son inspiration. En France, le succès de Strange (le magazine des superhéros), ainsi que la qualité des albums grand format des 4 Fantastiques, élevaient déjà les comics de Kirby au rang d’art. Et Lucas le savait : « Star Wars a été inventé avec le marché international en tête », affirmait-il en 1977 au magazine Rolling Stones. « Les Français ont compris son importance avant tout le monde. Ils saisissent bien mieux que les Américains ce que j’essaie de faire, comme les Japonais, d’ailleurs » Est-ce là la raison pour laquelle George Lucas a aussi beaucoup copié Akira Kurosawa, et particulièrement La Forteresse cachée ? Il poursuivait :

« Je possède une galerie d’art à New York où nous vendons des planches de comics et la France est l’un de nos marchés les plus intéressants. Les Français sont par exemple conscients de la valeur d’Alex Raymond (le créateur de Flash Gordon), ils savent que c’était un immense artiste. Ils ont aussi réalisé le précieux apport de Hal Foster (“Prince Vaillant”), dont les images sont d’un expressionnisme unique. Mais parce que ce sont des comics, les Américains regardent leur travail de haut. »

Premier casting : Carrie Fisher, 19 ans, pour Star Wars

Lucas, grand seigneur

« Je suis un véritable amateur de comics et j’aimerais bien qu’ils deviennent un art à part entière pour la simple raison qu’ils sont le reflet de notre culture, comme n’importe quelle autre forme d’art, confirmait Lucas. Ce sont des graffitis, des hiéroglyphes, des images de notre culture passée. Ils expriment des émotions qui sont apparues à des moments donnés de notre histoire. Ce sont des manifestations culturelles certes adolescentes, mais du coup plus pures car les sentiments humains qui y sont exprimés sont mis en évidence là où ils sont réprimés dans des formes d’art plus sophistiquées. » Et le cinéaste de conclure : « Prenez Picsou. C’est un personnage phénoménal, l’une des plus grandes explorations du capitalisme américain jamais écrites. Il nage dans une piscine de billets, ce qui est la clé de notre culture ! » Quand on sait que Star Wars et Marvel ont finalement trouvé refuge chez Disney, cette phrase se révèle aussi prophétique que sacrément ironique. S’il a vraiment eu lieu, de quoi ont parlé George Lucas et Jack Kirby durant ce fameux dîner en 1971 ? De leurs ambitions « cosmogoniques » respectives ? De mythologie ? De BD ? Quoi qu’il en soit, la vision de George Lucas, sa volonté de puiser autant chez Kurosawa que dans les comics, prouve qu’il aura été un immense visionnaire. Et ce n’était qu’un début...      

Extrait d'Un nouvel espoir :


 

La suite est à lire ici :

L'histoire secrète de Star Wars - Volume 2
L'histoire secrète de Star Wars - Volume 3
L'histoire secrète de Star Wars - Volume 4