Ali Marhyar, Ahmed Sylla et Mallory Wanecque nous racontent la fabrication de cette “dramédie” réussie, présentée à l'Alpe d'Huez.
En parallèle de sa sortie en salles, Comme un prince a été projeté au festival de la comédie de l'Alpe d'Huez. Et c'est un premier film qui fait mouche ! Une pincée de Rocky par-ci, une autre de Billy Elliot par là, un peu de Rasta Rocket saupoudré avec parcimonie... Cette histoire de transmission d'une passion (la boxe) se construit de façon fluide, et toujours avec le sourire.
Il y a quelques semaines, nous avons rencontré son réalisateur, Ali Marhyar, et ses deux comédiens principaux, Ahmed Sylla et Mallory Wanecque, au festival de Sarlat. L'occasion de faire le plein d'anecdotes sur la fabrication du film, son mélange des genres et des styles d'humour.
Car face à la sobriété de Sylla s'opposent les jeux extravertis de Jonathan Lambert ou de Jonathan Cohen. C'est d'ailleurs lui qui a accepté de participer en premier à ce projet, conquis par l'écriture d'Ali sur La Flamme - sans compter qu'ils se sont aussi croisés en tant que comédiens sur Family Business, la série comique d'Igor Gotesman pour Netflix. Un acteur qui est lui aussi au casting de Comme un prince.
Pour son passage à la réalisation, Ali Marhar ne s'est pas trompé en s'entourant de comédiens de confiance, mais aussi en proposant les deux rôles principaux à des acteurs qu'il ne connaissait pas, et qui furent pour lui des révélations.
Mallory Wanecque, Ali Marhyar et Julia Piaton réunis au festival de l'Alpe d'Huez, le 17 janvier 2024.
Première : Ali, vous avez écrit Comme un prince pour Ahmed Sylla et Mallory Wanecque ?
Ali Marhyar : Alors non, pour la bonne raison que j'ai mis plus de cinq ans à l'écrire. Je voulais vraiment faire un film qui me ressemble, éviter certains clichés et le faire bien. C'est mon premier film, j'ai eu besoin d'un peu de temps. Du coup, je ne voulais absolument pas écrire en ayant une personne précise en tête. C'est arrivé petit à petit, et assez naturellement, parce que d'abord, je me suis entouré surtout de proches. J'ai commencé par les rôles secondaires, puis je suis remonté. Jonathan Cohen, Igor Gotesman, Tewfik Jalab, Olivier Rosenberg, Antoine Gouy... Je les connais depuis très longtemps, alors petit à petit je savais. Je me disais : 'Ok, là ça va être pour lui, cet autre rôle, c'est plutôt pour lui....' J'appréhendais jusqu'au bout le premier rôle parce qu'il fallait que je trouve la bonne personne, qu'on se fasse confiance, et après j'ai rencontré Ahmed. La première chose que je lui ai demandé, c'est de faire des entraînements de boxe, pour prendre plus de muscle, mais surtout pour bouger comme un boxeur.
Ahmed Sylla : Je confirme. Mission n°1 : la boxe !
AM : Ce qui nous a beaucoup aidés, ce qui a été formidable, c'est qu'il est venu à toutes les répètes et à toutes les lectures. Il ne m'a jamais dit non, et c'est comme ça qu'on s'est mis d'accord sur tout : sur le ton du film, sur la direction qu'on allait prendre... En fonctionnant comme ça, à partir du moment où on tourne, on s'occupe uniquement de ce qu'on fait vraiment sur le plateau, on ne perd pas de temps à se dire si on est d'accord ou pas.
Quant à Mallory, elle a passé un casting. Pour moi, ça a été une évidence à partir du moment où elle est rentrée dans le bureau. J'ai su. J'ai beaucoup de chance parce que je sais que c'est rare d'avoir une évidence comme ça. Et donc, j'ai rapidement organisé la rencontre entre Ahmed et Mallory, car pour que mon film fonctionne, il fallait que ça matche entre eux.
AS : Je l'aime d'amour, c'est devenue ma petite soeur dans la vraie vie, ma protégée. Exactement comme un grand frère. La relation Souleyman-Mélissa, elle s'est transposée dans la vie. C'est toute la force de ce projet : on a construit une vraie relation qui existe. D'habitude, je suis souvent frustré des projets qui se finissent : on a passé beaucoup de temps ensemble sur un film, et après on ne se voit plus et c'est dur à vivre. Là, il s'est passé un truc, je l'aime beaucoup, Mallory. Avec Ali aussi c'était facile, on est quasiment de la même génération, on se ressemble, quand on discute, ça fuse, c'est rapide. C'est vrai qu'on s'aime beaucoup et qu'on triche pas.
AM : Au début, j'ai dit à Ahmed : 'Je vais te présenter Mélissa, tu vas voir, la petite est formidable.' J'ai même pas eu besoin d'insister. On a fait une lecture tous les trois, et à partir du moment où Mallory a commencé à dire son texte, Ahmed s'est arrêté, il m'a regardé et m'a dit : 'Non mais attends, faut qu'on aille tourner demain !'
AS : Je suis sorti de là surexcité, je répétais à Ali : 'Elle est ouf ! Ouf ! Il faut que ce soit elle.' A elle, je lui ai dit : 'Il faut que tu travailles énormément. Parce que, à partir de maintenant, il n'appartient qu'à toi de savoir quelle carrière tu veux. Succès ou échec, on s'en fiche, il faut que tu sois fière de tous les projets et que tu donnes le meilleur de toi-même à chaque fois. Faut que tu dépasses le projet d'avant, parce que tu ne seras pas éternellement 'la petite nouvelle.' C'est un diamant brut, cette fille, mais pour y arriver dans ce métier, il faut qu'elle travaille énormément.
Mallory Wanecque : Merci les gars. J'ai rien à ajouter, ça s'est vraiment passé comme ça. Ils m'ont protégée comme leur petite soeur. Et ça continue d'ailleurs.
Ali Marhyar, Mallory Wanecque et Ahmed Sylla au festival de Sarlat, en novembre 2023.
Comme un prince est un film sous influences. Qui semblent parfaitement assumées ?
AM : Dans les films que j'adore, y a toujours une relation entre une génération et une autre. Le voleur de bicyclette, par exemple, c'est un film que je conseille à tout le monde. La relation père-fille est très bien dépeinte, il faut le voir et le revoir, ce film. Ca parle d'un père désespéré qui cherche à tout prix son vélo, juste pour aller travailler, en fait. Mais rien ne se passe comme prévu et plus rien ne compte, lui même va être obligé de passer de l'autre côté et d'essayer de devenir un voleur, et... J'en dis pas plus, mais je trouve ça très fort. Il est dans mon top 3, je crois. J'adore les films comme ça, où il y a une forme de transmission, un accompagnement. C'est avant tout pour cette question que j'ai fait Comme un prince. Ah, et Billy Elliot, aussi. Lui il est pour toujours dans mon top 3. J'en ai pas mal, en fait.
MW (moqueuse) : J'en ai cinq dans mon top 3...
AM (en riant) : Voilà, et j'assume ! Il y a aussi du Rasta Rocket dans le film. Et du Rocky, le classique des films de boxe, mais qui ne parle pas que de ça. Du Gladiator ? Je me suis inspiré pas mal de drames, finalement. J'avais pas besoin de chercher de la vanne, je me suis plus penché sur les relations humaines, le regard d'une enfant envers un adulte, et inversement. Comment peuvent-ils s'aider ? Man on Fire, sur ce point, ça m'a beaucoup influencé. C'était évidemment pas du tout le même genre de film, mais juste sur l'essence de la relation. Il y a quelque chose dans les émotions qu'il fallait que je retrouve quelque chose d'authentique.
AS : Il est extraordinaire, ce film. Comment cette petite fille sauve Denzel... Wow !
A propos de références, l'idée du combat médiéval, elle vous est venue en revoyant Disjoncté, avec Jim Carrey ?
AM : Ah non... Ou alors inconsciemment, peut être ? En fait, je me suis rendu compte que quand on écrit, on prend une image, une couleur, un son d'un film, pour nourrir et construire le notre. Inconsciemment, je me rends compte que je me suis inspiré de plein d'autres films. D'ailleurs, Jim Carrey pour moi, c'est un génie intégral.
AS : Mais tellement ! Moi ce qui me manque le plus, c'est qu'il ne fasse plus de films. Dans Man in the Moon, il était tellement bon. Je crois qu'il est passé par une grosse dépression, il s'est éloigné un petit peu du milieu, et qu'aujourd'hui, il a plus trop envie de faire de cinéma.
AM : The Truman Show, je l'ai vu peut être 50 fois, je pleure à chaque fois.
AS : Incroyable, ce film, il raconte tellement de choses sur notre époque. En fait, il est encore actuel.
AM : Encore actuel ? Il était en avance, tu veux dire !
AS : Oui, t'as raison... Mallory, tu dis rien ?
MW : Je l'ai pas vu.
AS : Ah mais mets-le sur ta liste, il faut que tu mates ça ! C'est beau, tu verras.
MW : Ok. Oui, parce qu'ils m'ont fait une liste. J'ai vu plein de films pour préparer Comme un prince. Million Dollar Baby, évidemment. Fight Club... Il fallait que je rattrape des références, ma culture ciné était un peu nulle.
AS : Pas nulle : en train de grandir. C'est normal, attends, à 17 ans, j'avais pas vu autant de films que toi !
MW : Ok, j'ai bien noté The Truman Show.
AM : En tout cas, quand je proposais des films, c'était pas pour copier, je leur disais : 'On fera pas comme ça, mais observe bien les relations entre les personnages.'
Donc la première personne à qui vous avez parlé du film, c'était...
AM : Jonathan Cohen. Comme j'ai bossé longtemps sur ce film, on développait d'autres projets ensemble en parallèle, et je lui avais dit assez tôt que je voulais lui offrir un rôle, que c'était important pour moi, comme je travaille en équipe, qu'il soit là, qu'il fasse partie de l'aventure. Il m'a dit : 'Ben sûr !', et il a joué le jeu. Même s'il n'est venu qu'un jour, il a fait le taf. C'est lui la vraie clause comique dans le film, même s'il y en a d'autres, lui il est là pour ça : dès qu'il apparaît à l'écran, c'est drôle.
AS : La séquence du bar, j'ai mis quelques heures avant de réussir à donner une bonne réplique. Il improvisait tellement, c'était impossible de ne pas éclater de rire ! Heureusement qu'Ali a eu la présence d'esprit de tourner à deux caméras ce jour-là.
AM : Je savais qu'il ferait ça, je le connais (rires). Je me suis dit : 'Si j'ai pas deux caméras ce jour-là, c'est mort.'
AS : Il m'a impressionné : il est tellement force de proposition. C'est incroyable de réussir à rester juste tout en en faisant des caisses comme ça.
AM : Mais ce qui est intéressant, c'est qu'ils sont très différents, même si ils maîtrisent tous les deux la comédie. Je voulais un peu croiser leurs styles. Pire, j'ai même parfois demandé à Ahmed de rien jouer ! On avait discuté du fait que le comique du film allait venir justement parce que lui ne faisait rien : c'est la situation qui doit faire rire et le décalage entre son rythme et celui de Jonathan. Il ne fallait surtout pas qu'il rentre dans le rythme de Jojo. Et ça, c'est un peu difficile. Ahmed, c'est un acteur qui a envie de proposer plein de choses. Mais là, il ne pouvait pas.
Comme un prince : un mélange d'humours à la française [critique]Après rebelote avec Jonathan Lambert, et...
AS : Pareil. Face à lui, j'étais pas drôle. Personnellement, c'est vrai que j'ai dû me faire un peu violence, mais c'était important pour le film.
AM : Chacun sa sensibilité, mais moi, ça me fait rire ce décalage, ils me font tous marrer à leur manière. D'habitude, Ahmed est sollicité pour son rythme comique. Là, il fallait le sortir de son confort.
AS : L'important, c'est que ça marche. Je me suis plié à ça et je suis très content du résultat, très très fier. J'aime ce film, parce qu'il fait du bien. Et personnellement, aussi, car on ne m'attend pas là, et en même temps ça ne trahit pas ce que je suis vraiment, c'est à dire un mec un peu marrant. Là, je ne le suis pas moi, mais je suis dans un film drôle, touchant, avec de belles valeurs. C'est beau. Tourné dans de beaux lieux aussi. La photo est magnifique !
AM : Ah oui, je tenais à ce que ce soit beau, même si c'est une comédie. On a pris soin de la lumière, des plans... Et ce décor grandiose, les décors de Chambord, ça participe à cela. Direct, la vie de château ! (rires).
AS : Mais on vous a coupée, non ? Vous vouliez parler d'autres acteurs ?
Oui, Mallory. Vous parliez de sa spontanéité, mais elle a dû suivre un entraînement physique important pour être crédible dans la peau de cette jeune boxeuse, non ?
AM : C'est vrai que physiquement aussi, elle nous a impressionnés. Ahmed avait des notions de boxe, mais Mallory, elle partait de zéro, ça veut dire qu'elle a dû faire de la muscu pour entrer dans le film, apprendre à bouger comme une boxeuse. Pour les scènes sur le ring, elle est entourée de championnes du monde, quand même ! Ils ont tous les deux pris l'entraînement très au sérieux.
MW : C'est important le physique. La manière de bouger d'un personnage, d'interagir avec les autres... Perso, je passe beaucoup par ça pour entrer dans un rôle. En plus, là, on sentait que c'était important pour toi.
AM : Il faut dire que travailler cinq ans sur le même film, c'est quelque chose de très spécial. Entre temps, j'ai écrit des séries, j'ai tourné en tant qu'acteur... J'y revenais en faisant bien attention à être en adéquation avec ce que j'avais en tête. Je voulais être sûr du film que j'allais faire. Je ne voulais pas être déçu et surtout, je n'ai jamais écrit en me disant : 'Ah voilà, ça, ça va plaire.' J'ai toujours écrit en pensant : 'Il faut que ça me plaise à moi, que je sois droit dans mes bottes avec ça'. Je ne voulais surtout pas tricher.
MW : Oui, voilà. Quand un créateur est aussi impliqué qu'Ali, on ne veut pas le décevoir.
AM : Si ça a mis beaucoup de temps, c'est parce que j'ai dû effacer pas mal, aussi. J'avais écrit plein de choses, je crois que c'est souvent le cas avec un premier film ? Alors j'ai coupé et coupé encore. Je ne voulais pas que ce soit trop plein pour les spectateurs.
AS : C'est vrai qu'on voit ça tout le temps. Les jeunes réalisateurs se disent sans doute que ce sera peut-être leur dernier film ? (rires)
AM : Exactement, et je voulais éviter cet effet là. J'ai coupé dès le scénario, puis j'ai recoupé au montage...
AS : T'as trouvé un équilibre.
AM : C'est compliqué, ça, parce que j'ai aussi coupé des scènes qui me faisaient mourir de rire ou qui étaient intéressantes. Mais j'étais obligé de le faire pour doser.
Ça fera des bons bonus DVD ?
AS : Ou sur Instagram ?
MW : Faut en faire des 'reels', pour les réseaux.
AM : Oui voilà, c'est pas perdu. Le film correspond à ce que je voulais faire, et c'est tout ce qui compte. D'ailleurs, j'ai hâte de tourner à nouveau, je ne compte pas m'arrêter là ! Avec la réalisation, j'ai touché à quelque chose de fascinant. Depuis, je rêve de recommencer.
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