Toutes les critiques de Chambre 212

Les critiques de Première

  1. Première
    par Thierry Chèze

    Qui a dit que seuls les hommes étaient volages ? Dans le nouveau film de Christophe Honoré, découvert dans la section Un certain regard en mai dernier à Cannes, c’est son héroïne, Maria (Chiara Mastroianni), qui se révèle être une serial croqueuse d’hommes, seul moyen à ses yeux de faire durer son couple de 20 ans peu à peu gangrené par l’habitude. À condition bien sûr de le faire en douce. Sauf qu’un soir, Richard (Benjamin Biolay), son mari, découvre un SMS qui ne laisse guère place au doute sur la joyeuse partie de jambes en l’air qui a eu lieu l’après-midi avec un dénommé Asdrubal, étudiant, dont Maria est tout à la fois la prof et la maîtresse depuis des mois. Elle ne nie pas. Le ton, forcément, monte. Alors, elle part. Pas loin. Juste en face. Dans une chambre d’hôtel du quartier parisien de Montparnasse, où vont défiler différents personnages liés à sa vie passée ou présente, qui ont en commun d’avoir chacun une idée très précise de ce qu’elle doit faire de son couple. Vont ainsi s’y succéder le Richard d’il y a vingt ans (Vincent Lacoste), la prof de piano de celui-ci (Camille Cottin) dont il se dit qu’il aurait dû faire sa vie avec elle, sa mère, les différents hommes de sa vie ou plutôt d’une nuit, ou encore sa « Volonté », qui prend forme humaine (Stéphane Roger), en l’occurrence celle d’un vrai-faux sosie de Charles Aznavour !

    CONFRONTATION
    Ce drôle d’inventaire à la Prévert donne le ton du film. On va parler du sujet le plus sérieux du monde (l’amour) avec un mélange parfait de profondeur et de légèreté. Christophe Honoré met tout sur la table de dissection : la passion qui s’émousse et mue au fil du temps, nos fantasmes de jeunesse qui, en grandissant et vieillissant, prennent une valeur de plus en plus essentielle puisqu’ils ont de moins en moins de chances d’être réalisés... Chambre 212 confronte la réalité du présent qu’on a tendance à voir un peu trop en noir, le passé qu’on ne peut s’empêcher d’enjoliver et le futur où nos rêves non réalisés forment comme un phare inaccessible dans l’horizon. Et quoi de mieux pour donner corps à tout cela que la théâtralité proposée par Honoré dans ce huis clos en chambre. Où l’opposition entre la beauté cruelle des mots que se balancent les protagonistes et la délicatesse poétique des décors évoque un mélange inattendu et audacieux entre le Trop belle pour toi de Bertrand Blier (et pas uniquement parce que Carole Bouquet apparaît ici le temps d’une scène, où elle n’a jamais été aussi juste et déchirante depuis ce film qui lui avait valu le César de la meilleure actrice) et Cœurs d’Alain Resnais.

    QUATUOR MAJEUR
    Mais le plaisir infini à s’abandonner devant ce petit bijou romanesque repose aussi sur le quatuor majeur de comédiens réunis par le réalisateur. Le jeu à la fois drôle et touchant de Chiara Mastroianni (récompensée du prix d’interprétation à Un certain regard) ; la sensibilité extrême de Benjamin Biolay, colosse brisé aux pieds d’argile, s’amusant avec une autodérision savoureuse de sa réputation de séducteur ; la jeunesse espiègle de Vincent Lacoste qui retrouve avec bonheur Christophe Honoré après Plaire, aimer et courir vite ; et une Camille Cottin renversante de sensibilité à qui, enfin, un cinéaste propose un terrain de jeu qui n’est pas la pâle copie de son personnage de Dix pour cent. En un an depuis la présentation de Plaire, aimer et courir vite à Cannes, Honoré a monté Les Idoles à l’Odéon, mis en scène un opéra (Don Carlos) à Lyon et réalisé ce film. Et chacun de ces travaux d’Hercule a nourri l’autre. Mieux même, c’est sans doute cette urgence qui rend Chambre 212 aussi beau, aussi puissant, aussi flamboyant. En plus, on y entend Aznavour, Ferrat et Donna Summer. Une grande réussite.