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L’homme qui a relancé Disney dans les années 80 et fondé Dreamworks au milieu des années 90 prend du champ avec l’animation. Pour mieux se réinventer ?

Adieu ogres, zèbres, girafes et dragons. Le fondateur de Dreamworks lâche la barre. Jeffrey Katzenberg quitte l’animation après avoir cédé son entreprise à Universal. Il se lance dans un nouveau défi industriel (WndrCo) qui pourrait à terme révolutionner le paysage du divertissement sur les médias. Et avant de partir Thierry Frémaux lui remet une médaille d’or du 70ème festival. Pour services rendus ?

 

A quoi correspond cette médaille du 70ème festival ? Ce n’est pas un cadeau de départ à la retraite ?

Je dirais qu’il s’agit plutôt d’un hommage aux 40 années que j’ai passé à Cannes. Je suis venu la première fois ici en 1977, j’avais vingt ans et c’était pour Les Moissons du ciel. Je travaillais à la Paramount, j’accompagnais Malick au festival et… Bref, c’est le plus bel endroit de la planète terre pour célébrer le cinéma. Et comme ma vie est une partie de la vaste tapisserie du cinéma, c’est un privilège d’être ici. Je dois avouer que toutes ces années sur la croisette furent vraiment amusantes.

Ma question portait sur votre rapport à l’industrie. Vous...

J’avance. J’ouvre un nouveau chapitre. J’ai fait 406 films – quand je dis « j’ai fait », je devrais être plus précis. Disons que ces films ont été fait par des compagnies auxquelles j’appartenais. 41 films animés – entre Disney et Dreamworks et…

Vous tenez les comptes ?

Je les connais. Pour répondre à la question, je pensais sincèrement que le troisième acte de ma carrière serait de continuer 10 ou 15 ans chez Dreamworks. Et puis on m’a proposé de passer le baton. Je suis reparti de zéro 4 ou 5 fois dans ma carrière. Et à chaque fois l’expérience s’était révélée beaucoup plus excitante que ce que je faisais avant. Mon bonheur, c’est le travail. Quand j’ai compris que je pouvais me réinventer une sixième fois et réfléchir aux horizons des nouveaux médias, c’était acté.

La dernière fois qu’on s’était vu, on parlait de votre expérience chez Disney et vous m’aviez dit : « je n’ai pas de rétroviseur ».

Je ne regarde jamais en arrière. Jamais. Vous voulez comprendre comment je fonctionne ? Quand vous lisez un livre, est-ce qu’il vous arrive de relire le chapitre que vous venez de terminer ? Non. Et bien ma vie est comme ça. Quel intérêt ? Je suis très fier de certaines choses accomplies, mais c’est le passé.

Pourquoi quitter Dreamworks maintenant ?

J’ai toujours su au fond de moi qu’un jour je lèguerai Dreamworks à quelqu’un. Ce n’est pas une entreprise familiale, je n’ai pas d’héritier qui pourrait diriger cette compagnie… C’était inévitable. La seule question, c’était quand. Lorsque ComCast et Universal sont venus me trouver, j’ai compris qu’ils appréciaient la valeur de ces 25 années de création. Je savais que c’était la chose à faire pour la compagnie, les employés, le catalogue et les actionnaires qui toucheront des revenus très confortables… c’était non seulement la seule chose à faire, mais aussi la chose la plus juste

Est-ce que votre départ ne dit pas quelque chose de l’état actuel du cinéma d’animation ?

Je suis un optimiste. Je ne « lâche » pas Dreamworks, je ne joue pas en défense. Il y a toujours énormément de créativité et les films sont à mon avis formidables. Vous n’allez pas me dire que vous n’aimez pas ce qu’on a vu cette année. Zootopie ? Tous en scène ? Les Trolls ? 

Et bien heu…

Alors je ne peux pas grand chose pour vous ! Vaiana ?

Celui-là, oui !

Bref, je ne crois pas que les films d’animation soient une usine. Pas encore en tout cas. Vous allez me parler de la « maladie » des suites ? Mais ceux qui font ce reproche ne réfléchissent pas : les sequels chez Dreamworks étaient toutes nécessaires. Dans Madagascar, à la fin du premier épisode, ils finissent sur une île ! Des animaux Newyorkais perdus à Madagascar ? Il devaient rentrer…Ca n’a rien de cynique. L’histoire serait restée incomplète sans le 2. Pareil pour Chasseurs de Dragons. Les suites n’ont jamais été dictées par des intérêts corporatistes, mais par une nécessité artistique.

Dreamworks est en forme ?

Le coffre est plein. Je ne leur laisse pas une maison vide.

Et ça ne va pas vous manquer ?

Noooon. Ca me manque, un peu, quand je vous parle. Autrement je n’y pense pas. Je me lève tous les matins avec mon nouveau projet en tête. Et j’ai l’impression que personne d’autre que moi peut réussir ce challenge..

WndrCo, c’est ça ? De quoi s’agit-il ?

Nous sommes au début de l’aventure, mais disons que ça concerne les nouveaux médias. Il s’agit de réinventer le storytelling. La narration d’aujourd’hui s’appuie encore sur des stéréotypes crées par la télé des années 50, des formats de 30 à 60 minutes. Mais cette forme qui a été très performantes et qui a crée des millions d’heures de très grande valeur a vécu. La dernière décennie a vu apparaître de nouveaux modes de consommations à cause de l’apparition du smartphone et du format court. J’aimerais être capable de fournir à ces nouveaux modes de consommations, des histoires de qualité, dans tous les formats (drames, sitcom, comédies, le sport, la télé réalité…). Un nouvel horizon pour le divertissement. De l’écriture à la production.

J’ai l’impression que c’est votre vrai moteur. Faire bouger les choses, révolutionner un domaine, quelqu’il soit. C’est ce que vous avez fait chez Disney, avec Dreamworks et maintenant là…

Chez Disney c’était différent. Il y avait un héritage d’une richesse inouie. Depuis la profession de foi jusqu’aux formes esthétiques ou aux technologies. On avait la carte, il fallait juste retrouver le chemin. Disney avait tout imaginé et il s’agissait de retrouver ses traces. Ce projet c’est différent : il n’y a aucune référence historique. Personne ne sait comment ça marche. Personne ne l’a fait. Nous sommes des pionniers.

 Qu’est-ce que vous pensez de la polémique Netflix ?

Cannes ne serait pas Cannes sans les polémiques et Thierry Frémaux gère ça parfaitement. D’un côté, Netflix finance des films qui n’existeraient pas sans sa participation. De l’autre je ne voudrais me priver pour rien au monde de l’expérience salle. Le cinéma est en mutation et Cannes au fond n’est que le reflet de ces changements…