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Rencontre avec le réalisateur des Transformers, d'Armageddon, de No Pain No Gain...

Michael, pourquoi avoir décidé de réaliser Transformers 4 ? J’ai conçu l’attraction Transformers du Universal Studios. Et quand je voyais ces milliers de gens faire deux heures, trois heures de queues pour faire un tour, pour simplement avoir cette sensation de vitesse, de fun, je me suis dit que je ne pouvais pas lâcher la saga. J’avais envie de procurer ça aux spectateurs, ce moment de jouissance.

Vous auriez pu vous contenter de produire le film ? C’est vrai, et c’était prévu comme ça. Mais je me suis vite rendu compte que la deadline serait difficile à tenir pour un réalisateur qui ne connaissait pas la franchise. Réaliser ce film dans le temps imparti était quasiment mission impossible. Et puis, franchement, ça m’excitait.

Quoi ? Cette nouvelle histoire, l’émotion qu’on devait essayer d’injecter, ce tournant de la saga. Remettre les compteurs à zéro en changeant d’acteurs et en prenant une nouvelle direction me permettait de me fixer un nouvel objectif. C’était une façon de garder mon énergie créatrice intacte et de trouver de nouveaux challenges. Comme vous le savez, j’ai fait pas mal de films de robots ces derniers temps. Je sais comment ça marche. Là, j’avais l’impression que je pouvais y trouver de quoi me ressourcer, me dépasser et pousser un peu plus loin mon cinéma.

C’est ça l’idée ? Continuer votre cinéma en explosant un peu plus les compteurs ? Oui. Et vous savez pourquoi ? Je pourrais la jouer cynique et vous dire – ce qui est vrai – que si je veux élever à chaque fois le niveau, c’est parce que si je ne le fais pas le business me jettera très vite. Le public, les patrons de studios – la critique, mais ça c’est déjà fait. C’est un monde violent. On me paie pour être le meilleur et c’est ce que j’essaie d’être. Mais la vérité, c’est que ça m’excite. Ca me plait de faire toujours mieux. De trouver des nouvelles idées pour me transcender et procurer de nouvelles sensations au public.

Ce qui est fou, c’est que Transformers 3 fonctionnait déjà comme une déclaration d’intention : la séquence finale à Chicago résumait tout votre cinéma. C’était même l’acmé de votre filmo pyrotechnique. Je ne comprends toujours pas quel besoin vous avez de faire mieux… C’est vrai que Chicago a été une étape importante pour moi. Mais encore une fois, si je raisonne comme vous, j’arrête immédiatement de faire des films. Chaque tournage est l’occasion de faire mieux, de corriger certains défauts des précédents, d’essayer de nouveaux trucs, de nouveaux outils. Vous avez vu le film en IMAX ?

Transformers 3 est "tout entier dévoué à la beauté chromée et l’étrange mélancolie d’un Optimus Prime lessivé"

Non. Dommage, parce que c’est la seule façon de voir le film. On a été les premiers à utiliser les caméras IMAX 3D. Des caméras 65 mm, en 4K. A l’origine elles avaient été conçues pour des documentaires animaliers, pour être accrochées dans des arbres et filmer des singes de Bornéo. Mon équipe les a customisées, rendues beaucoup plus flexibles pour pouvoir les accrocher sur des Porsche Cayenne et filmer des séquences de fight avec les robots. Ce n’est pas seulement un joujou techno : c’est en IMAX 3D que tu te rapproches le plus de ce que j’ai voulu faire.

C’est-à-dire ? Retrouver la sensation de ride de l’attraction. Que le spectateur du film ait le sentiment physique d’être pendu à un câble au-dessus du vide, ou de foncer à toute allure lâché dans les airs ; être coincé dans un de ces trucs qui te fait voler…

Vous avez le sentiment d’avoir fait le tour avec Transformers 4 ? J’ai l’impression d’être à la fin de mes films de robots. Clairement. Si je continue je vais devenir fou. Je voulais lancer cette nouvelle franchise ; c’est fait. Il est sans doute temps de passer à autre chose.

No Pain No Gain a-t-il changé votre rapport cinéma ? D’un point de vue stylistique, Transformers 4 me paraît différent de la première trilogie… Ca tient à l’histoire et aux enjeux. Il y a sans doute plus de cœur parce que Transformers 4 au fond parle de la famille, de la relation entre Mark et sa fille ; de la légitimité d’Optimus Prime…

C’est autre chose. C’est paradoxal (le film fait 165 mn), mais j’ai l’impression que votre cinéma est dégraissé : comme si No Pain no Gain avait fait office de purge. Il n’y a plus d’humour goofy, c’est sec. En somme c’est tout pour l’action… J’ai fait No Pain No Gain comme un petit film bizarre, une petite chose pour me concentrer sur le jeu des acteurs. C’était comme un film d’école pour moi. J’avais l’impression de revenir à l’essence du cinéma, sans m’embarrasser des SFX, ou d’une pression financière. Je voulais filmer vite, retrouver une forme de liberté, mettre tout ce que j’avais dans la tête sur l’écran… Après Transformers 3, j’avais aussi l’impression que plus mes films étaient gros, moins ils étaient fun à faire… Mais c’est bizarre d’envisager ma carrière sous cet angle. Je fais des films différents ; tant au niveau du style que des histoires. Des trucs plus petits (comme No Pain No Gain) où j’essaie des choses que je ne peux pas faire dans le cadre du gros blockbuster et des films plus ambitieux, plus gros.

No Pain No Gain : Démêlons le vrai du faux dans le film dingue de Michael Bay

Mais c’est toujours du Michael Bay. Oui parce que je suis toujours à la caméra. C’est moi qui cadre, moi qui tiens la caméra dans tous les plans. J’élabore tous les plans du film et l’idée c’est de balancer ce que j’ai dans la tête.

Vous pouvez nous dire comment vous concevez vos films ? C’est compliqué… Je n’ai pas de références précises quand je commence à penser au film. Je ne pense pas à d’autres films qui ont été tournés… Je m’assois à la table avec le scénariste et je lui dis ce que j’ai dans la tête.

Mais comment naissent vos idées ? C’est l’action qui commande l’histoire ? Une image ? Un style ? Ou une trame que vous nourrissez de vos idées visuelles ? C’est toujours différent. Sur Transformers 4, c’est parti des lieux de tournage. J’ai su très vite qu’on allait tourner à Hong Kong ; je me suis armé d’un appareil et je suis parti en ville, à pied, prendre de photos. Après je me laisse guider par ce que m’inspire le lieu.

Et si Michael Bay était vraiment un auteur ?

Tout part des décors ? Du set donc ? Pas forcément. Parfois, c’est juste un truc que j’ai en tête. Comme la scène où la fille de Mark est kidnappée sur l’autoroute. Pour ça, j’avais un découpage très précis de la séquence, des envies de design très détaillées avant même de savoir ce qui allait se passer. Sur ce film – comme souvent d’ailleurs – j’ai bossé sur les scènes d’action très en amont et de manière fusionnelle avec mon scénariste. On avait une grande planche sur laquelle on notait les scènes et le genre de sensations qu’on voulait transmettre au public. L’enjeu principal, c’était de ne pas se répéter, de proposer un spectacle différent aux spectateurs. Ce furent des mois et des mois de travail. Avec mon scénariste, mais aussi avec mon équipe de prévis’ puis un artiste qui dessinait les key frames (les plans principaux). C’est comme ça que je travaille.

C’est cette manière de faire qui fait que Transformers 4 est de loin votre film le plus lisible ? Je dirige des scènes d’action depuis maintenant plusieurs années. J’espère progresser.

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Mais comment s’y prend-on ? C’est juste plus d’argent pour avoir plus de plan ? Parfois c’est le cas. Sur le premier Transformers par exemple, je n’avais pas assez d’argent pour que tous les plans soient lisibles. Pour faire les choses bien, j’aurais dû faire plus de plans, plus de master shots. Mais j’avais un budget serré et je n’explose jamais mes budgets. C’est une règle. J’avais finalement peu de plans sur Transformers : je crois que je montais à 500 plans, ce qui n’est pas énorme. Et j’avais décidé de mettre l’argent non pas dans le nombre de plans, mais dans les effets. Chaque plan était hyper élaboré, hyper maîtrisé… Maintenant, en le revoyant, je sais que le film manque de lisibilité et que j’aurais dû plus découper parfois.

Et sur Transformers 4  ? Là, j’ai pu faire ce que je voulais : il y a plus de plans, plus de scope, plus de plans larges, plus de plans POV, plus de masters shots…. Exactement ce qu’il fallait.

Quelle est votre relation aux producteurs ? Très bonne ah ah ah.

Je veux dire : on a l’impression que le fait de travailler avec Spielberg a changé votre cinéma. Spielberg est un ami. Il me laisse faire ce que je veux. Il est très curieux et me demande souvent « Comment tu fais ça ? Et comment tu fais ça ? ». C’est marrant. J’adore lui montrer les idées que j’ai eues…

Mais il est impossible de ne pas sentir l’influence de l’esprit DreamWorks dans les Transformers. Depuis les bandes annonces jusqu’aux thèmes soulevés. Transformers 4 c’est La Guerre des mondes version Michael Bay… Les films que vous avez faits avec Bruckheimer n’ont rien à voir avec ceux réalisés en collaboration avec Spielberg. Vous voyez ce que je veux dire ? Je vois surtout que j’ai progressé, que j’ai grandi, que je ne commets plus certaines erreurs. C’est marrant aussi de voir ce que les critiques disent de ces films… Le public sait et ne se pose pas de questions. Ce sont eux qui paient, eux qui s’assoient pour regarder. Transformers 4 va dépasser le milliard et c’est déjà le plus gros succès de l’année !

Ca vous blesse ? Je ne lis plus les critiques.

Pourquoi ? Pourquoi ? ? !! Parce que je ne les comprends pas. Ca fait 10 ans que j’ai arrêté de lire des trucs sur moi. Je fais des films pour les gens. Et vous savez quoi : j’ai montré mon film autour du monde. Les gens rient, sont excités et ça me suffit.

Vous trouvez ça injuste ? Mais la vie est injuste ! Peut-être que j’ai eu trop de succès au box office ! Peut-être que mes films ne leur plaisent pas… Mais vous savez ce que me disait Jerry Bruckheimer : « Tu fais des films pour le public. Ne va pas chercher plus loin ». Ce qui m’importe c’est le public et ça marche.

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Comment vous l’expliquez justement ? Ce n’est pas seulement des histoires de bagnoles et de robots. Il y a une forme de bonté dans ces histoires. Le monde est fait de trop de saloperies. Et plus je regarde ces films, plus je me dis que les gens viennent les voir ou les aiment pour la bonté qu’ils dégagent, l’extraordinaire « humanité » d’Optimus Prime, l’attitude altruiste de ces autobots. Ca apporte vraiment de la joie aux spectateurs.

Vous êtes sérieux ? Ce qui se passe dans les salles chinoises est dingue. C’est un film avec des robots ! Mais les résultats sont massifs et j’ai vu T4 dans 25 salles avec à chaque fois les mêmes effets. Les gens applaudissent, ils hurlent. C’est fou ; il se dégage de ces films un effet feel good qui, je dois l’avouer, me dépasse un peu. Evidemment, je ne suis pas naïf, je l’ai pensé comme ça. C’est ça que je voulais produire, mais si j’essaie de rationnaliser, ça reste un mystère.

Quand vous parlez comme ça, j’ai l’image parue dans le magazine Empire. Celle où Mark Wahlberg est accroché à l’immeuble et vous êtes à un mètre en dessous de lui, vous passez votre tête avec votre caméra. Et je hurle ! Je hurle parce que je trouve que ce que fait Mark est super, mais aussi parce que des techniciens lâchent des morceaux de pierre, du sable que je me prends dans la gueule ! J’en ai plein la bouche, les yeux… Mais cette image définit parfaitement mon cinéma. Je suis en guerre ! Au milieu de l’action. Et c’est précisément là que je veux propulser le spectateur. Il y a quelques années, les scènes d’action étaient souvent filmées au grand angle, et du coup, le cinéaste vous laissaient au seuil de l’action. Moi, j’ai toujours voulu remettre le spectateur au cœur du dispo, au milieu du chaos !

Une question de style. Exactement.

Vous avez la sensation parfois, de vous être fait piller vos idées de scènes par tout Hollywood ? Je fais des films d’action. Il n’y a pas de trademark sur une poursuite en bagnole.

Bien sur, mais quand je vois la scène finale de Transformers 3, je ne peux pas m’empêcher de penser que Whedon tente de se mesurer à vous dans la séquence new-yorkaise d’AvengersAh ah ! D’abord je connais bien Joss parce que nous étions à la même école ! Et puis c’est normal que les deux scènes vous paraissent similaires : Joss a embauché mon équipe pour cette séquence. Cela dit, les deux scènes n’ont rien à voir !

Ah bon ? Non : dans Avengers tout est sur écran vert. Moi je film en vrai ! La différence est essentielle. Pour toi, mais surtout pour les spectateurs.

Vous pensez vraiment que les gens voient la différence ? Je le sais ! Tu sais quand ce sont de vraies bagnoles qui te passent au-dessus, ou quand c’est un véritable mur qu’on explose. Tes yeux, ton cerveau le sent ! Et pour moi, pour le cinéaste, ça n’a rien à voir. Il y a un travail de chorégraphie à faire qui est totalement différent. Filmer des choses réelles est un art qui est en train de mourir à Hollywood. A la fin de Transformers 4, John Frazier, mon VFX qui a plus de 70 ans et a gagné des tonnes de prix, est venu me voir pour me remercier et me dire : « Michael, merci de nous laisser faire ça en vrai, merci parce que plus beaucoup de réalisateurs continuent de travailler en vrai à Hollywood ». Tout est digitalisé et les cinéastes se contentent de CG. Mais on perd en réalisme et en impact…

Vraiment ? Mais totalement. C’est un art. Et réaliser ça, en dur, c’est un artisanat. La question des scènes d’action redevient un problème de mise en scène. De chorégraphie, de timing, de mouvement.

Vous en parlez comme d’un ballet. Un peu. Tout doit être calculé, timé, répété… Mais c’est pas seulement une chorégraphie. Au fond, la clé du problème c’est la lumière. La lumière, c’est ce qui te permet de lisser tout, c’est la clé des effets spéciaux. Je me souviens d’une belle lettre de George Lucas après Pearl Harbor. Il m’avait écrit un mot en disant : « tu as élevé le niveau des SFX ». Et il n’était question que de lumière. Lumière lumière lumière. Photographier des choses réelles et puis tout gérer avec la photo. Pour la scène de Pearl Harbor, John avait lâché 350 bombes. Réelles. Aujourd’hui, on ferait les ¾ en SFX…

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