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C’est un récit d’initiationDepuis Ice Storm d’Ang Lee, en 1997, c’est la règle : un bon "Tobey Maguire movie" est d’abord une coming-of-age story. Pur sang : La Légende de Seabiscuit, Chevauchée avec le Diable, la trilogie Spider-Man, Wonder Boys… Cette bonne bouille, ces joues d’Américain bon teint, ces petits yeux plissées et malicieux, sont toujours synonymes d’initiation, d’apprentissage et de perte de l’innocence. Plus "normal" que Jake Gyllenhaal, moins perché que Joaquin Phoenix, Tobey est, de tous les acteurs de sa génération (celle qui a pris le pouvoir au début du siècle), celui qui ressemble le plus à un grand frère, un bon copain, un ami qui prend le spectateur par la main. Logique alors que Le Prodige raconte la vie de Bobby Fischer (superstar des échecs qui affronta le Soviétique Boris Spassky lors d’un match ultra-médiatisé et politiquement brûlant en 1972) comme celle d’un rejeton malheureux de la Guerre Froide, d’un gamin juif new-yorkais qui grandit dans la peur de son voisin (puis de lui-même), et finit par avoir le cerveau rongé par la parano. Tobey Maguire, l’homme sans âge du cinéma US, joue ça comme si sa vie en dépendait.  C’est un film intelloPeu d’acteurs incarnent aussi bien que lui les types qui réfléchissent. Les tempêtes sous un crâne, la matière grise en action. Voir Tobey froncer les sourcils est toujours un spectacle en soi, que ce soit à des fins comiques (dans les Spider-Man) ou mélancoliques (dans Gatsby le magnifique).Le Prodigedémontre qu’il est l’un des seuls acteurs au monde capable de transformer une partie d’échecs (deux types mutiques se grattent le menton autour d’une table) en moment de cinéma galvanisant à laRocky. On regarde le dernier tiers du film les mains moites et en serrant les fesses. Si le metteur en scène Edward Zwyck a du métier, Le Prodige est bien le bébé de Tobey. Un projet qu’il produit lui-même et qu’il a mis dix ans à faire aboutir. Qu’il a porté à bout de bras même quand David Fincher (qui devait le réaliser à une époque) a jeté l’éponge. Le résultat se situe quelque part entre Un homme d’exception (l’histoire d’un cerveau rendu dingo par la Guerre Froide) et le beau biopic du Beach Boy Brian Wilson, Love and Mercy (où le génie artistique est vécu comme une malédiction). Le genre de rôle qui mène en général droit aux Oscars.Ça ne court pas les ruesDepuis qu’il a dit adieu au personnage de Peter Parker en 2007, on ne compte que six entrées sur la fiche IMDb de Tobey Maguire en tant qu’acteur, dont une comédie inédite en salles (The Details), une couillonnade télé conçue par Will Ferrell (The Spoils of Babylone), et deux seconds rôles (dans Gatsby le Magnifique et Last Days of Summer). Mais que fait Tobey ? Il prend son temps, s’économise, quand la concurrence s’éparpille. Sans qu’on sache d’ailleurs très bien si cette rareté à l’écran relève de la pure exigence artistique ou des contingences du business. Sa perf exceptionnelle en Bobby Fischer (tendue, intense, franchement bouleversante), l’une des meilleures de sa carrière nous fait nous dire qu’on a bien fait d’attendre aussi longtemps. Le "Tobey Maguire movie" est un spécimen rare. Donc précieux.Cédric Page