Keith Scholey et Alastair Fothergill sont deux cinéastes majeurs du documentaire animalier. Le premier est un producteur historique de la BBC et fut le patron de la Natural History Unit pendant des années. Le second est surnommé le Spielberg du film nature sans doute à cause de son incroyable talent de storyteller et du succès de ses films ou de ses séries (Planète Bleue et Un Jour sur terre). Après Félins, ils ont quitté la savane africaine pour les rives glacées de l'Alaska. Grizzly, leur nouveau projet raconte l'odyssée et la survie d'une mère et de ses deux oursons dans un environnement magnifique mais hostile. Avec ses visions de cinéma dantesques, sa simplicité, ses émotions cristallines, Grizzly est sans doute l'un des meilleurs films issus du label Disney Nature. Entretien avec deux montreurs d'ours. On sort de Grizzly avec la sensation que l'ours peut être le meilleur ami de l'homme. Alastair Fothergill : En tout cas, ils sont loin d'être les bêtes agressives qu'on croit. A partir du moment où l'on suit quelques règles de précautions et qu'on respecte leur terrain, ils ne sont pas aussi dangereux que l'on pense ! Ils ne dévorent pas les hommes. Sur le tournage, nous n'avons eu aucun problème. Vous avez pourtant tourné dans le parc du Katmai, précisément là où a été tué Timothy Treadwell, le "héros" malheureux du documentaire d'Herzog, Grizzly Man...Keith Scholey : Je déteste ce film. On a rencontré beaucoup de gens qui connaissaient Treadwell. Et tous nous disaient que la manière dont il est décrit dans le film n'est pas conforme à la réalité. Il avait parfois une attitude bizarre, mais il comprenait vraiment les ours, ils savait comment se comporter face à eux. Le film est un portrait à charge et terrible de cet homme. Timothy faisait des films pour les enfants qu'il diffusait ensuite dans les écoles des Etats-Unis. Il effectuait un travail pédagogique pour expliquer aux gens ce que sont vraiment les ours. A.F. : C'était loin d'être un fou ! Ce qui est limite, c'est la manière dont le cinéaste se sert de ses images, les détourne pour le faire passer pour un dingue. C'est son style ceci dit. Ses documentaires flirtent toujours avec la fiction. Il utilise la crédulité du spectateur... Son film sur l'Antarctique (Rencontres au bout du monde NDLR), c'était la même chose. N'importe quoi. C'est facile de faire ça !Facile ? A.F. : Humm... je vois ce que vous voulez dire... Non. Mais ce qui est facile c'est de faire passer les gens pour des imbéciles à des fins de divertissement. Et puis mon problème c'est qu'il raconte des mensonges sur les ours et les animaux en général. Il entretient les mythes.K.S. : Dans ce park, il n'y a eu que deux morts, tués par les ours. Timothy et sa compagne. Ca force à relativiser. Parlons de votre Grizzly. Pourquoi après les félins et les chimpanzés vous êtes-vous intéressés aux ours ?A.F. : L'histoire. La dramaturgie de base était passionnante. Il faut savoir que la première année de leur vie, 50% des oursons meurent. Et si la mère disparaît (d'épuisement, de faim...) elle entraîne avec elle ses enfants. C'est une situation cruelle, mais qui, si nous avions de la chance, pouvait donner une leçon et une histoire formidables. Et c'est la marque des films Disney Nature. Les histoires sont cruciales et elles sont différentes à chaque fois parce que les animaux sont différents. Chimpanzés par exemple était un film plus social qui s'intéressait à la place qu'occupe chaque individu dans une communauté structurée. Félins était un thriller... C'est effectivement frappant quand on regarde les Disney Nature : vos films explorent à chaque fois des genres de cinéma différents.K.S. : On essaie. Grizzly a été dès le début conçu comme un road movie. Mais attention : la logique n'est pas celle du genre. C'est l'animal qu'on suit qui nous amène progressivement à une structure de cinémaA.F. : Je cherche depuis des années à faire un film sur l'Ours Polaire. C'est un animal qui me fascine. Et ce qui m'intéresse, c'est qu'il s'agit d'un animal dont l'ennemi est son propre écosystème. Le problème auquel est confronté l'ours aujourd'hui c'est le problème de la glace. La fonte glaciaire le condamne à la mort. L'ennemi du chimpanzé ce n'est pas la forêt. L'ennemi du lion, ce n'est pas la savane. Mais l'Ours Polaire lui est menacé par son environnement... Si j'arrive à faire ce film, je sais que ce sera un survival...Ce qui veut dire que dans le processus créatif, l'animal précède le cinéma ? Vous partez d'une idée de nature avant de la traduire en langage cinéma ? A.F. : Oui. Notre background, c'est la zoologie, la nature. Mais on réfléchit en terme de cinéma. Les documentaires animaliers plus traditionnels ne pensent pas autant en terme de dramaturgie et de storytelling. On cherche toujours un méchant, des motivations et des bons personnages. Et quand on les a, on les regarde exactement comme le feraient des scénaristes hollywoodiens.Mais j'imagine que tous les animaux ne se prêtent pas au standard Disney Nature. Pollen par exemple, par ailleurs très spectaculaire, ne procure pas d'émotion de cinéma... A.F. : Parce qu'il s'agit d'un documentaire plus traditionnel dans sa structure et sa conception. Avec Keith, lorsque nous sommes en tournage, la question qu'on se répète quotidiennement c'est "are we making a movie ?" (est-ce qu'on fait un film ? NDLR). Si Grizzly n'avait été qu'un documentaire sur les ours, pour nous, ca aurait été un échec ! J'ai lu que vous aviez eu recours au Story Trust, la structure imaginée par Lasseter pour peaufiner les histoires des dessins animés Disney. A.F. : Ca fait partie de notre volonté de faire des vrais films autant que des documentaires scientifiques. C'était très intéressant pour nous : un groupe de personnes - dont le réalisateur des Mondes de Ralph et le scénariste de Wall-E - ont vu un prémontage du film et ont offert des idées, des suggestions pour donner plus de force à l'histoire. Parfois ces suggestions étaient fondées, mais à d'autres moments, on était obligé de leur rappeler que nos personnages n'étaient pas animés. Et qu'il s'agissait d'animaux. Réels. Que ce qu'ils proposaient n'arriverait pas dans la nature. Et les films Disney Nature doivent respecter une rigueur scientifique.C'est une tarte à la crème, mais on redoute toujours l'anthropomorphisme des documentaires animaliers. Quelle est votre position sur le sujet ?A.F. : C'est une question qu'on se pose constamment. Et c'est un risque que l'on court dès qu'on fait des films dont l'histoire est axée sur des "personnages". La primatologue Jane Goodall avec qui nous avons beaucoup travaillé disait que n'importe qui ayant un chien sait que son animal a une personnalité qui lui est propre. Pour les animaux sauvages c'est pareil. On ne donne pas aux singes ou aux ours qu'on filme des émotions qu'ils n'ont pas, mais quand Scout (le héros de Grizzly NDLR) est poursuivi par le loup, il a peur. Ca se voit. On le sait ! On ne va pas le nier d'autant qu'il s'agit d'un ressort dramaturgique formidable...Mais quand on regarde les films Disney Nature on sent que le Graal c'est le dosage idéal entre rigueur scientifique et pédagogique et anthropomorphisme.  K.S. : La ligne à trouver est une des clés de la réussite. Mais c'est très compliqué. Surtout parce que chaque culture, chaque pays est différent face à cela. Aux US, les spectateurs anthropomorphisent beaucoup. Ils aiment cela. Les français sont un peu plus réticents sans doute... Du coup on s'adapte avec l'écriture de la voix off et la musique.Une dernière question : quel est votre ours de cinéma préféré ?K.S. : BalooA.F. : Winnie l'oursonPropos recueillis par Gaël Golhen Grizzly sort mercredi 5 novembre et voici sa bande-annonce.