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Shokuzai : Kiyoshi Kurosawa, une œuvre singulière

Ce soir, le cycle estival d'Arte consacré au cinéma asiatique s'arrête au Japon avec la diffusion de Shokuzai, diptyque filmé par Kiyoshi Kurosawa et sorti en salles en 2012. Si Shokuzai fut présenté en France sous cette forme en deux parties, Celles qui voulaient se souvenir et Celles qui voulaient oublier, l'œuvre est à l'origine une mini-série en cinq épisodes créés par Kurosawa pour la chaîne câblée japonaise WOWOW. Le premier film réunit les deux premiers épisodes de la série et le second les trois derniers.Présenté à la Mostra de Venise en 2012, Shokuzai constitue l'un des sommets de la filmographie de Kurosawa, réalisateur à l'oeuvre à part dans le cinéma japonais, qui a navigué entre séries B, trésors horrifiques et autres formes populaires, et même le cinéma érotique. Une œuvre pas toujours très bien connue du public non rompu au cinéma de genre, qui a l'occasion de se rattraper ce soir sur la chaîne franco-allemande.Des débuts dans le porno softNé le 19 juillet 1955 à Kobe, Kiyoshi Kurosawa n'a aucun lien de parenté avec son glorieux homonyme Akira Kurosawa. Il grandit à l'époque où toute une génération d'apprentis cinéastes successeurs de la Nouvelle Vague japonaise (celle de Nagisa Oshima, Shohei Imamura ou Masahiro Shinoda) font leurs gammes sur les caméras Super 8, à l'image d'un autre contemporain, Hideo Nakata, qui marquera les cinéphiles des années plus tard avec Ring. Kurosawa réalisera une dizaine de films dans ce format, fortement inspirés par le cinéma de genre américain et les films de Terence Fisher, Don Siegel, Tobe Hooper, Richard Fleischer ou George Romero.Extrêmement diverse, son œuvre de jeunesse alterne pendant près de deux décennies collaborations avec d'autres réalisateurs en tant qu'assistant (Shinji Somai, Kazuhiko Hasegawa), des séries B fauchées et des direct-to-video (notamment la série de six films Suit Yourself or Shoot Yourself ou de quatre films The Revenge) et... des films érotiques. Il entre en effet en 1983 dans le studio Nikkatsu, société de production à l'époque spécialisée dans les pinku eiga, des pornos soft. Mais son style jugé justement trop soft et pas assez conventionnel lui vaut d'être blacklisté par les producteurs pendant quelques années.Un grand nom de l'horreur japonaiseMalgré un tressaillement à la fin des années 1980 grâce notamment à son film Sweet Home, Kurosawa ne se fait réellement un nom de cinéaste qu'en 1997. Le thriller Cure l'installe parmi les cinéastes les plus singuliers de sa génération. Devenu un classique pour les fans de films d'horreur asiatiques (Bong Joon-ho le considère comme un de ses films préférés), Cure est suivi deux ans plus tard par Charisma et marque le début d'une série de succès publics et/ou critiques. L'oeuvre du cinéaste sort des lors des frontières de l'archipel, Cure devenant son premier film distribué en France en 1999.Son style visuel et les ambiances fantastiques de ses œuvres comme License to LiveCharisma ou Vaine illusion, font le portrait d'un Japon désolé, ravagé à la fois par le sang et par les âmes. Kurosawa s'y forge une réputation de cinéaste anxiogène, de cinéaste de spectres excellant dans les cadres étouffants et les silences oppressants. Renouvelant les règles de représentation de l'épouvante au cinéma, notamment par l'utilisation des flous, sa patte visuelle se met au service d'une analyse de la réalité sociale de son pays.La reconnaissance des festivalsKiyoshi Kurosawa devient un invité régulier des festivals de cinéma de genre, puis de tous les festivals tout court : il connaît sa première grande consécration en 2003 quand son Jellyfish (Akirui mirai) intègre la sélection officielle du Festival de Cannes. Si le film reçoit un accueil très frais de la part des festivaliers, le nom de Kiyoshi Kurosawa se fait connaître dans le monde entier. En 2006, Kaïro bénéficie d'un remake américain, Pulse avec Kristen Bell. S'il continue à alterner œuvres noires grinçantes (Doppelgänger en 2003) et les thrillers horrifiques (Loft, 2005, Retribution, 2006), son œuvre fait désormais référence dans le J-Horror.En 2008, son Tokyo Sonata remporte le Prix Un certain regard au festival de Cannes et marque les esprits pour une séquence onirique reprenant la Suite bergamasque de Debussy. S'éloignant quelque peu du fantastique, qui reste néanmoins présent en filigrane dans l'atmosphère de ses œuvres (notamment Shokuzai, où plane sans cesse le spectre de la jeune fille assassinée), Kiyoshi Kurosawa devient l'un des cinéastes japonais les plus récompensés du cinéma japonais contemporain : outre sa sélection à Venise pour Shokuzai, il a également remporté il y a quelques semaines le Prix de la mise en scène de la sélection Un certain regard au dernier Festival de Cannes pour son dernier film, Vers l'autre rive, qui sortira en salles le 30 septembre prochain.L'histoire de Shokuzai : Dans un petit village japonais, Emily, une fillette, a été violée et assassinée par un inconnu. La police ne désespère pas de retrouver le coupable, car quatre camarades de la victime ont été témoins du drame. Mais elles se révèlent incapables de décrire le visage de l'assassin. Désespérée, la mère d'Emily leur lance un avertissement : elles devront retrouver la mémoire, ou bien expier toute leur vie. Quinze ans plus tard, l'affaire n'est toujours pas résolue. Sae, l'une des quatre amies d'Emily, est devenue infirmière. Toujours profondément traumatisée, elle n'a jamais connu d'homme. Elle se rend alors à un rendez-vous arrangé avec un riche héritier... Shokuzai - Celles qui voulaient se souvenir et Shokuzai - Celles qui voulaient oublier sont diffusés ce soir à 20h55 et 22h50 sur Arte.