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Vous souvenez-vous de vos débuts ? Menahem Golan : Pour nous, tout a commencé en Israël.Yoram Globus : C’est là-bas qu’on a appris à faire des films de tous genres, comédie, action... Mais on a fini par se sentir à l’étroit, et on a quitté le pays à la fin des années 60. On avait seulement 500 dollars en poche, parce que la loi israélienne nous interdisait de partir avec plus d’argent. Ensuite, tout s’est emballé... Menahem : À Cannes, en 1978 ou 1979, je ne sais plus, on a monté le système de la prévente, du packaging cinéma. Chuck Norris a signé avec nous un contrat d’exclusivité de sept ans, prévoyant deux films par an. Puis d’autres réalisateurs, comme Cassavetes et Altman, sont venus nous voir parce que Hollywood refusait de prendre des risques. Il y a eu Stallone et Van Damme, aussi...Puisque vous en parlez, Sylvester Stallone et ses « expendables » sont justement en train de descendre la Croisette en tanks. Quelle est l’opération publicitaire la plus folle que vous ayez montée ici ?Yoram : D’abord, on a été les premiers à faire ce genre de choses. Vous êtes sans doute trop jeune pour vous en souvenir, mais à l’époque, on disait « Festival de Cannon » ! Avant, les distributeurs avaient de l’argent, les boîtes indépendantes étaient vraiment indépendantes. Maintenant, les gros films sont faits pour et en fonction des fans, Hollywood est aux mains des financiers, il n’y a plus d’amoureux du cinéma à la barre. En France, c’est le contraire. Le gouvernement, le public, tout le monde adore le cinéma chez vous.Et votre fête la plus dingue alors ? Yoram : Une sauterie de cinq mille personnes organisée au Palais en 1985, pour Allan Quatermain et les mines du roi Salomon. Menahem et moi étions déguisés en hommes de la jungle. On avait fait venir Richard Chamberlain et Sharon Stone, dont c’était quasiment le premier film. À l’époque, elle cartonnait à la télé, mais c’est nous qui l’avons vraiment lancée. Par la suite, nous avons invité Stallone, Norris, Bronson, Godard, Schroeder, Zeffirelli... En 1986, Cannon avait six films en compétition à Cannes et quarante-six en vente sur le marché. Nous couvrions tout le spectre du cinéma, des films d’action aux films de festival. Plus personne n’a jamais fait ça. Quand on croise des anciens, des vétérans, ils nous demandent tous : « But where is Cannon ? Where is the fun ? »Mais où est le fun justement ? L’approche décomplexée et premier degré des films de l’époque manque un peu, non ? Yoram : Entièrement d’accord. C’est parce que les cinéastes ne sont plus les décideurs. Il faut donner tout pouvoir aux réalisateurs. Ca a toujours été notre méthode.Vous regardez les productions actuelles ? Yoram : Mouais... Vous savez, Cannon, c’était loin de ce qui se fait aujourd’hui. On ne montrait pas de violence gratuite, ni d’exploitation ni de pornographie. Dans nos films, il y a bien du sexe et de la violence, mais dans des proportions acceptables. Menahem : Moi non plus, ce n’est pas mon truc les films à gros budget qu’on voit maintenant, ils sont trop « bigger than life ». Moi, j’ai deux vies, la mienne et celle à l’écran. Je n’aime pas Batman ou les X-Men parce que je ne pourrai jamais faire ce qu’ils font. En plus, ils coûtent une blinde.Menahem, vous aviez juré ne jamais dépenser plus de 30 millions de dollars par film... Yoram : Et pourtant il l’a fait ! Superman IV nous a coûté 45 millions de dollars. Menahem : On avait aussi les droits de Spider-Man, et on n’a jamais tourné le film. C’était stupide ! On ne serait pas là sinon. Yoram : Mais enfin, Menahem, on est bien là, à parler avec le journaliste !On connaît le coup du contrat signé par Godard sur une serviette en papier du Carlton pour King Lear... Yoram : Ah, Godard... Les génies font tous des merdes, parfois. Et c’est tombé sur nous. En fait, on en a beaucoup des histoires de serviettes... Tiens, sinon, on a aussi importé le pop-corn dans les cinémas anglais. On a vendu jusqu’à une tonne de maïs par mois à l’Angleterre !Et si vous ne deviez garder qu’un seul film Cannon ?Menahem : Je dirais Runaway Train. C’est un chef-d’œuvre. Tout est bon, le casting, l’action, le sujet... D’ailleurs, il a fait un carton en France. Andreï Kontchalovski nous avait apporté le scénario de Kurosawa. Tiens, tu pourrais me citer un nouveau Runaway Train, toi ?Ce logo Cannon si mémorable, d’où vient-il ? Menahem : Il existait déjà quand on a acheté la compagnie. On l’a juste animé en collant la flèche dans la lettre « C ».Avec la résurgence 80s qu’on connaît, il n’y aucune chance de voir réapparaître un titre Cannon ? On parle d’un Delta Force 4... Yoram : Menahem, dis-lui.Menahem : C’est bien vrai, on va réaliser Delta Force 4. Yoram et moi ! Sans Chuck mais avec Dudikoff et de nouvelles stars américaines. Et beaucoup d’action. On travaille aussi sur Le Grand Festival, qui se passe durant la Seconde Guerre mondiale. Vous savez qu’en 1945, le Festival de Cannes existait déjà. Notre film, c’est de la politique-fiction. D’ailleurs, il va remporter la Palme d’or l’année prochaine.Yoram : Il faut y croire. C’est bien de croire. Ca fait de nous des rêveurs.Est-ce que vous voyez un successeur à Cannon ? Millennium Films, peut-être ? Menahem : Ah non, notre successeur, c’est nous-mêmes !La fin super triste de The Go-Go Boys raconte pourtant la séparation de votre duo légendaire...Yoram : Nous nous sommes séparés, mais on ne se quittera jamais vraiment. Nous sommes cousins. Menahem et moi n’étions pas toujours d’accord sur le business. Je trouvais par exemple qu’il produisait trop de films à l’année, lui pensait que j’achetais trop de salles de cinéma à l’année. Au moins, maintenant, on ne se dispute plus à cause de ça.Une conclusion ? Menahem : Même si je déteste ce mot, je dirais la même chose que Yoram. Le cinéma t’offre deux vies : celle que tu as à la maison avec ta femme, tes gosses, tes problèmes quotidiens, et ta vie de cinéma.Interview Benjamin Rozovas et Sylvestre PicardThe Go-Go Boys sort aujourd'hui dans les salles Lire aussiMort de Menahem Golan