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Mais ce serait une hérésie de réduire ce film à ça. Chef d’œuvre de comédie footbalistique, c’est aussi la porte d’entrée de l’univers hallucinant de Stephen Chow.

Stephen Chow. Ce nom ne vous dit probablement pas grand-chose et pourtant il s’agit d’un des plus grands cinéastes en activité. Superstar dans son pays (la Chine) où il enchaîne les succès avec la régularité d’un métronome, Chow est terriblement méconnu en France ou aux Etats-Unis. Ce stakhanoviste de la comédie HK mélange les genres comme personne et carbure à la fantaisie débridée. Pour ceux qui n’auraient jamais vu l’un de ses films, disons que c’est un Jackie Chan qui aurait décidé d’appliquer les préceptes du kung fu à des domaines aussi variés que la cuisine (God of Cookery), l’école (Fight Back to school), James Bond (Bons baisers de Pékin), l’écologie (The Mermaid, son dernier carton en date). Ou le foot comme Shaolin Soccer (que vous pourrez voir sur Arte).

Noblesse esthétique et vannes de cour de récré

Sortie au tout début des années 2000, cette comédie footbalistique ahurissante suit le parcours de ratés sociaux qui sous l’égide de Chow vont faire appel au pouvoir du kung fu pour jouer au ballon rond comme des Dieux (anciens). C’est sans doute le meilleur film de son auteur parce qu’il porte à un niveau d’exigence inoui sa science du Mo Lei Tau (littéralement : « ca ne veut rien dire mais c’est drôle »). Les Chinois raffolent de ce sale gosse qui disproportionne des vannes de cour de récré pour les transposer dans le monde impitoyable des adultes. Retour à l’âge bête, parodies de gros succès chinois et américains, calembours en rafales et critique sociale en filigrane… Pourtant, ses films n’ont rien à voir avec du Zidi de bas étage. Et Shaolin Soccer est l’exemple ultime. On retrouve ici l’humour scato à base de bruits de pets, de porte dans la gueule, de furoncle sur le visage de la plus belle fille du canton ; mais il y a également sa volonté de marier la noblesse esthétique du kung fu au grand spectacle yankee. Comme dans un épisode d’Olive et Tom, les joueurs en shorts et kimonos jaunes cabriolent de manière surnaturelle. Ils parcourent des kilomètres de terrain avant d’envoyer un boulet de canon magistral transformé par la vitesse en tigre rugissant. Ils volent dans les airs avec l’agilité de Jet Li, sublimé dans cette action par la mise en scène aérienne sidérante de Chow, tout en plans-séquences virevoltants et mouvements de caméras élévateurs (on ne le surnomme pas pour rien le Steven Spielberg hongkongais). Mais ça n’est pas que ça.

Derrière le film de sport surexcitant (en ces temps d’Euro, c’est ICI que vous verrez les actions les plus dingues sur une pelouse) et la comédie vulgaire se cache une belle parabole sur la transmission des arts martiaux comme fondement de la culture chinoise. Sous les facéties visuelles et sonores, un autre univers, plus noir, surgit d’où fusent une morbidité et une mélancolie déchirante. Parce que si ça marche, c’est moins pour les prouts que pour ce qui court sous la surface ; Chow est un cinéaste qui fait dans l’édifiant, le poétique et l’initiatique. Et si Shaolin Soccer a cartonné, c’est pour son enivrante virtuosité co(s)mique, comme pour ses touches de poésie, telles que les inattendues séquences avec la petite vendeuse de brioches pratiquant le Tai-Chi. Evidemment, les Américains n’avaient rien compris et les frères Weinstein avaient tenté de mutiler son film (l’amputant de 10 minutes à l’international).
Ce soir vous allez prendre une grosse claque.

Shaolin Soccer est diffusé ce soir à 22h50 sur Arte