Les Enfants de la mer
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Avec Les enfants de la mer, le cinéaste Ayumu Watanabe adapte le fabuleux manga de Daisuke Igarashi, une merveille qui avance entre le récit initiatique et la rêverie apocalyptique.

Avec Les Enfants de la mer, Ayumu Watanabe signe un premier film envoûtant, un film-trip qui, sur les traces d’une ado, va explorer un monde sous-marin d’une richesse infinie. Un fœtus, un feu d’artifice psychédélique, des aliens… il y a du 2001 : l'odyssée de l'espace dans cette adaptation du manga fantastique de Igarashi. Présenté à Annecy, nous avons pu rencontrer Ayumu Watanabe, le réalisateur de ce formidable voyage en apesanteur.

 

Le film commence par un plan programmatique : un œil s’ouvre et la narratrice se souvient de son passé.

Programmatique, c’est ça. Cet œil est un indice clé du film, le motif principal des Enfants de la mer : au fond, le film parle du regard qu’on porte sur les choses. Ca n’est pas seulement le regard sur l’enfance, sur son passé ; c’est aussi le regard qu’on porte sur l’avenir et sur ce qu’on découvre. Il s’ouvre parce que je voulais également que le film raconte une découverte. L’héroïne regarde le monde qui l’entoure pour mieux se découvrir intérieurement.

C’est un éveil, mais une prise de conscience aussi. Ecologique d’abord...

C’est vrai, d’une certaine manière avec Les enfants de la mer je voulais évoquer les problèmes environnementaux. Mais hors de question que le message soit trop explicite ! J’ai juste représenté la nature de la plus belle manière qui soit, pour que les gens se disent qu’il faut sans doute la protéger…

A l’origine, il y a le fabuleux manga de Daisuke Igarashi. Comment avez-vous envisagé l’adaptation ?

Je suis un lecteur avide et assidu de l’œuvre originale, depuis ses débuts. Quand j’ai commencé à travailler sur le film, je savais que, si on adaptait ce manga, on perdrait forcément quelque chose. Et ça, ça ne me plaisait pas du tout. On a donc fait tout notre possible pour imaginer, avec nos outils, une œuvre qui soit la plus fidèle au livre d’Igarashi. La plus grande difficulté, ce fut la représentation de la nature qui occupe une place essentielle dans le manga. On a fait des choix, sélectionné des séquences ou des cases qu’on a parfois allongé, ou dans lesquelles on a zoomé pour les rendre plus beaux qu’ils ne sont dans la BD. Par ailleurs, Les enfants de la mer est dessinée trait par trait et je voulais rendre ça dans le film. Le problème c’est que peu d’artistes sont capables de le faire en animé ; on en avait quelques uns au studio, mais ça nous a demandé beaucoup de temps.

Vous disiez que vous saviez que vous perdriez quelque chose. Quoi ?

Le dessin trait par trait de Iragahashi. On craignait également que la profondeur du récit soit trop simplifiée dans un scénario de film. On voulait éviter cela. Il fallait respecter à la fois le trait et l’histoire.

C’est pour cela que votre film joue magnifiquement avec les ellipses ? En une image vous capturez parfois toute l’histoire d’un personnage secondaire – par exemple une canette écrasée raconte l’alcoolisme de la mère…

Il y a un tel flot d’information sur les personnages dans le manga, qu’on a dû effectivement utiliser ce genre de procédés. Je crois que c’est aussi la structure du film qui nous poussait à faire des ellipses aussi fortes : Les enfants de la mer est divisé en deux parties distinctes. Une première partie centrée sur les personnages, puis une deuxième plus planante. Pour y arriver, il fallait donner le maximum d’informations nécessaires à la compréhension. Sans traîner !

Je voulais revenir sur la technique. Evidemment, tout est fait par ordinateur, mais…

Ah mais pas du tout (rires). Votre confusion me fait plaisir. L’univers du manga est très riche, très particulier, très mystique aussi. On cherchait à traduire l’impression ressentie à la lecture e pour trouver ce feeling, il fallait mélanger 2D et 3D. Pour la mer beaucoup de choses étaient faites en 3D, mais je voulais que les personnages soient dessinés à la main. On s’était fixé un niveau de rendu final tellement élevé que la technique au fond ne comptait plus. C’était un moyen pour parvenir à une vision esthétique très précise.

Les enfants de la mer est un film-trip. On pense beaucoup à 2001 l’odyssée de l’espace, surtout à la fin. C’était une référence consciente ?

Vous n’êtes pas le premier à m’en parler. Stanley Kubrick est un réalisateur qui m’a profondément marqué. Plus jeune, je voyais et revoyais ses films. Ca n’était pas volontaire, mais il est probable que quand j’ai commencé à réfléchir à la structure, à l’esthétique du film, des choses sont sorties de mon inconscient. Pareil pour Miyazaki : ma génération a été biberonnée à ses films et son impact est immense. Je suis également un grand fan de Kurosawa. Je n’oserais même pas dire que je me suis inspiré de ses films… mais dans certains procédés de mise en scène on peut voir des traces de cette obsession, des réminiscences de Sanjuro, du Ciel et l’enfer ou de Chien enragé.

Un ami me parlait aussi du jeu Zelda, Wind Walker qui se passait dans l’océan. Ca vous parle ?

Désolé, vous direz à votre ami que je ne suis pas un joueur. Mais c’est sans doute le côté immersif du film qui lui a fait dire ça. Dès l’ouverture de l’œil, il fallait que le spectateur se sente dans le film, rentre dedans. On a tout calculé pour cela, tout en laissant libre le public. Ce fut le défi le plus compliqué.

Les Enfants de la mer est un film très sensoriel.

Oui. Que ce soit les bruitages ou la musique, les visions et même les dialogues, je voulais que le film fonctionne comme de l’hypnose. Que le public vive une expérience particulière, une expérience sensorielle, comme vous dites, vécue à travers ses 5 sens. En fait, je me suis souvenu de mes premières émotions de spectateurs. J’étais très jeune, j’allais voir ces films de la Tohei avec des enfants qui faisaient n’importe quoi. Moi, j’étais dans la salle, c’était sale, en désordre, il y avait du popcorn par terre. Mais j’oubliais tout. J’étais hypnotisé, complètement capté par le film. J’ai essayé de réfléchir pour que mes spectateurs vivent la même chose, qu’ils soient absorbés.

Vous parliez de la musique, comment avez-vous travaillé avec Joe Hisaishi ?

J’avais très peu d’indications à lui fournir, mais je trouvais ça impoli de lui demander de faire la musique et de partir sans rien dire… Alors on a parlé, un peu. Du résultat auquel je voulais parvenir. Hisaishi a, au début de sa carrière, beaucoup travaillé sur la musique minimale. Et dès le début de notre collaboration, il m’a dit qu’il pensait que cela conviendrait parfaitement au film : il ne voulait pas de grandes envolées lyriques. Le hasard fait bien les choses : parmi les œuvres que je préfère de lui, il y a ses premières partitions. Je ne voulais pas de musique hollywoodienne, mais une musique très simple, épurée.