Wild Bunch

La relation entre le cinéaste et le festival est parfois houleuse.

Le délégué général du festival de Cannes a annoncé lors de la conférence de presse du 12 avril que le cinéaste Jean-Luc Godard serait de retour à Cannes et en Compétition avec Le Livre d'image. Il y a quatre ans, c'était déjà le cas pour Adieu au Langage, pour lequel le metteur en scène n'avait finalement pas voulu se déplacer. Dès la conférence de presse, Thierry Frémaux déclarait, amusé : "Jean-Luc a promis d'être là ... ce qui ne veut rien dire". Le cinéaste, "l'un des représentants le plus éminent de la Nouvelle Vague et de l'Histoire du cinéma" comme l'a défini le même Frémaux, possède une histoire particulière avec le festival cannois, entre faux bonds, lapins et coups de gueule. A 87 ans, sera-t-il présent pour défendre son film durant cette 71ème édition ?

Cannes 2018 : Découvrez la sélection officielle

Le festival sans palmarès de mai 68
Tout commence en mai 68 lorsqu'il débarque à Cannes avec François Truffaut, au nom des Etats généraux du cinéma français, association rassemblant tous les corps du métier cinématographique pour suivre et soutenir le mouvement de grève ouvrier et étudiant, afin d'arrêter le festival dans une ambiance houleuse. JLG n'a pas la langue dans sa poche et devant les protestations des spectateurs, il déclare avec un sens de la formule qu'on lui connaît bien : "On vous parle solidarité avec les ouvriers et les étudiants, vous nous répondez travelling et gros plans : vous êtes des cons!"

1980-2001 : absence de prix et tarte à la crème
En 1980, le cinéaste se retrouve pour la première fois sélectionné à Cannes grâce à Sauve qui peut la vie. Il se déplace (avec Jacques DutroncNathalie Baye et Isabelle Huppert), mais repart bredouille, tout comme pour ses autres films Passion (1983) , Détective (1985), Aria (1987), Nouvelle Vague (1990) et Eloge de l'amour (2001). En plus d'être boudé par le jury de la Croisette, Jean-Luc Godard reçoit même une tarte à la crème dans la figure au cours du festival 1985 de la part d'un homme qui n'avait pas apprécié la nudité de la Vierge dans Je vous salue Marie. Réagissant avec humour, le cinéaste se lèche les babines et déclare plus tard que cet acte était "un rappel au cinéma muet". 

2010 : Un problème de type grec
Neuf ans après, il revient avec son Film socialisme dans la catégorie Un certain regard. Surprise : il fait faux bond au festival à la dernière minute et écrit à Thierry Frémaux : "Suite à des problèmes de type grec (une allusion à la crise économique), je ne pourrai être votre obligé à Cannes. Avec le festival, j’irai jusqu’à la mort, mais je ne ferai pas un pas de plus. Amicalement. Jean-Luc Godard."  

2014 : Un prix du jury à partager avec Xavier Dolan 
Il y a trois ans, le même Frémaux le réinvite et pendant quelques jours, tout le monde clame le grand retour de JLG à Cannes. Treize ans après Eloge de l'amour, le cinéaste concourt de nouveau à la Palme d'or avec son film en 3D Adieu au langage. Manquera-t-il encore à l'invitation? Ou le discours élogieux de Thierry Frémaux, qualifiant son film d' "extraordinaire" le réconciliera-t-il avec le festival ? Le verdict tombe mi-mai via une vidéo dans laquelle Godard explique qu’il ne compte pas se rendre sur la Croisette, même pour y recevoir un potentiel prix récompensant l’ensemble de sa carrière."Par esprit de contradiction, j'aimerais mieux qu'il n'y ait aucun prix. Qu'ils ne soient pas obligés de donner un petit prix, en général pour l'ensemble de sa carrière, ou des choses comme ça, que je sens un peu désobligeant aujourd'hui. J'en ai déjà eu 5 ou 6, j'ai même eu un Oscar."

Le jury, présidé par Jane Campion, tombe pourtant sous le charme de son film, qui reçoit le Prix du jury, ex-aecquo avec Mommy, de Xavier Dolan.

Godard et Dolan se partagent un prix à Cannes : hommage ou mépris ?

2016 : Le Mépris de Godard s’affiche
JLG ne veut pas revenir à Cannes ? Qu’à cela ne tienne, le festival lui rendra tout de même hommage en choisissant une image tirée de sa filmographie pour illustrer la 69e édition. Pas de star en gros plan cette année-là. L'affiche fait un clin d'oeil à la montée des marches en reprenant une scène du Mépris avec Michel Piccoli

DR

Voici le message qui accompagne la mise en ligne du poster : "Tout est là. Les marches, la mer, l’horizon : l’ascension d’un homme vers son rêve, dans la chaleur d’une lumière méditerranéenne qui se change en or. Une vision qui rappelle cette citation qui ouvre Le Mépris : "Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs."

C’est donc Michel Piccoli qui, depuis le toit de la légendaire villa-œuvre dessinée par l’écrivain Curzio Malaparte, ouvrira en 2016 la montée des Marches du 69e Festival de Cannes. Un choix symbolique, tant ce film sur le tournage d’un film, considéré par beaucoup comme l’un des plus beaux jamais réalisés en cinémascope (le tandem Piccoli / Bardot aux côtés de Fritz Lang, la photographie de Raoul Coutard, la musique de Georges Delerue…), a marqué l’histoire du cinéma et de la cinéphilie.

À la veille de son 70e anniversaire, en choisissant de s’afficher sous l’emblème de ce film à la fois palimpseste et manifeste, le Festival renouvelle son engagement fondateur : rendre hommage aux créateurs, célébrer l’histoire du cinéma et accueillir de nouvelles façons de regarder le monde. À l’image d’une montée de marches en forme d’ascension vers l’horizon infini d’un écran de projection."

2017 : L'hommage au Redoutable
L’an dernier, Frémaux a sélectionné Le Redoutable, biopic original du cinéaste, entre pastiche et comédie romantique, réalisé par Michel Hazanavicius. Une nouvelle fois, l’ombre du réalisateur planait sur le festival sans qu’il soit présent, et l’équipe de Studio Canal s’en donnait à cœur joie sur le plan "méta" lors de la promotion du film, en parodiant par exemple les manifestations de Mai 68 dans l’un des teasers :


Le Redoutable : "Faut être complètement con pour aller à Cannes cette année"

2018 : Le Livre d’image
Quelques jours après avoir une nouvelle fois honoré Jean-Luc Godard sur l’affiche de cette 71e édition, en reprenant une image culte de Pierrot le fou, avec Anna Karina et Jean-Paul Belmondo, Thierry Frémaux annonce officiellement le retour de l’intéressé en compétition, tout en laissant entendre que de l’eau a coulé sous les ponts : "Autre entrée en compétition, d’un homme qui n’est pas, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, un habitué de cette compétition, même si la dernière fois il a reçu un prix : c’est Jean-Luc Godard. Le film s’appelle Le Livre d’image. C’est un homme assez facile, si j’ose dire. Je le dis de manière très positive. J’lui ai dit : ‘Jean-Luc, en compétition le film ?’ et il m’a dit ‘C’est comme vous voulez’. Alors que parfois, il y a des négociations avec des cinéastes et les productions qui sont plus complètes. Ce film est dans la veine des essais de Jean-Luc Godard et nous avons souhaité qu’il soit en compétition."

Affiche officielle 2018 © Maquette: Flore Maquin - Photo : Pierrot le fou © Georges Pierre

On ne sait pas encore grand-chose du projet, Wild Bunch ayant simplement dévoilé ce "pitch" officiel : "Rien que le silence, rien qu'un chant révolutionnaire, une histoire en cinq chapitres, comme les cinq doigts de la main." Il faudra attendre les festivités pour en savoir plus. Rendez-vous du 8 au 19 mai pour sur le 71e festival de Cannes en direct sur Premiere.fr.

Plus d'infos dans notre dossier spécial festival de Cannes 2018