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Rencontre avec le cinéaste sud-coréen.

Bong Joon ho, jolie moustache Aramis, recevait au Carlton son fan club français, tout juste remis des émotions montagnes-russes de sa première compétition cannoise en mai 2017.

Cannes 2017 : Okja divise

Comment s’est passée la journée officielle de Okja ?
J’ai surtout beaucoup dormi !

Pas devant le film ?
Non, à cause du décalage horaire, et de la retombée du stress. Ça y est, c’est bon, le film a été montré, on l’a vu tous ensemble avec les acteurs. J’ai pu me vider la tête. Et j’ai fait une bonne grosse sieste.

Vous avez le sentiment que votre carrière suit une progression rectiligne, ou plus chaotique ?
Je n’ai pas l’obsession de répéter des motifs récurrents d’un film à l’autre, si c’est ce que vous voulez dire. Je ne cherche pas à apposer ma signature. Mais je n’ai pas l’obsession inverse non plus, il ne s’agit pas d’être différent à tout prix. Je pars d’une idée, d’une image, d’une histoire qui me plaît. Et je fonce tête baissée.

Faut-il nécessairement que chaque film soit plus gros que le précédent ?
Pas forcément, non. Mother était moins gros que The Host. Okja est de loin mon projet le plus énorme jusqu’ici, mais le suivant, qui s’appelle Parasite, sera vraiment un tout petit film, plus proche de Memories of Murder ou Mother, au moins par son échelle. Les deux derniers, Snowpiercer et Okja, j’ai pu ressentir le poids de leur démesure. Les deux, trois prochains seront plus contenus. Sinon, je vais y laisser ma peau.

Il y a deux Bong Joon ho, celui qui filme à la loupe et celui qui voit tout en grand spectacle. C’est possible de les réunir ?
C’est le but, en tout cas. Il est vrai que Mother ou Shaking Tokyo (son sketch dans le film collectif Tokyo) sont comme vus à travers un microscope. J’aimerais que ma caméra soit à la fois capable d’enregistrer les microorganismes et d’embrasser la galaxie, de réunifier les deux échelles sous un seul et même regard, dans un seul et même film. Hum… plus facile à dire qu’à faire.

La satire est un élément constitutif de votre style…
La satire, c’est l’arme du plus faible. Mes films sont peuplés de dominés, des gens dénigrés socialement. Quand j’adopte leur point de vue, la satire s’impose comme la seule arme possible, celle qui permet de poignarder les hommes et femmes de pouvoir, l’autorité. Enfin, s’il s’agissait d’un vrai poignard, je serais en taule à l’heure qu’il est… Mais au cinéma, elle est comme un sabre qui me permet de trancher dans le lard. C’est l’un des privilèges du metteur en scène.

Le film est traversé de ruptures de ton très brutales.
Vous voulez dire qu’il est bordélique ?

Non, mais qu’il va très loin dans des registres très différents : l’émotion, l’action, la caricature politique, jusqu’au recours à l’imagerie concentrationnaire pour faire passer votre message…
Alors oui. C’était le but. Faire un film criard, presque assourdissant. Ce qui m’a guidé, c’est le hurlement du cochon. « GROUIIIII !!!!!! » Même la musique que j’ai choisie va dans ce sens, cette sorte de fanfare super agressive. Je voulais que le film soit comme un cochon grouinant juste à côté de votre tympan.

Selon nous, Totoro, Babe 2, CJ7 de Stephen Chow sont des cousins possibles de votre film. Laquelle de ces comparaisons vous semble la plus juste ?
Babe 2, et de loin ! Si vous voyez une parenté, c’est pour moi un grand honneur. J’adore George Miller et ce film en particulier. Les gens connaissent mieux le premier, mais le 2 est un film fou, incroyablement sous-estimé. D’ailleurs, mon premier assistant P.J Voeten est le premier assistant attitré de Miller. Sur presque tous ses films, dont Babe 2 et Mad Max : Fury Road !

Vous avez dit en conférence de presse que vous aviez eu sur ce film une « totale liberté ». Est-ce seulement une bonne chose ?
Non, c’est totalement effrayant. Quand on a le contrôle, on n’a plus aucune excuse, aucun moyen de se cacher. Toute la responsabilité incombe au réalisateur. Mais attention, ils étaient très impliqués, tout comme Plan B (la société de Brad Pitt). Ils ont bossé comme des fous, fait des tas de commentaires, mais toujours dans le but de m’accompagner dans mes idées et ma vision, puisque j’avais le final cut. Il y a une part de vertige, quand la décision artistique vous revient à vous et à vous seul. La liberté est toujours un poids.

Après deux projets de cinéma mondialisé, la fin de Okja laisse entendre qu’il vous faut retourner vous ressourcer dans vos montagnes coréennes. On a bien compris l’idée ?
Oh oui. Là, oui, je crois bien qu’il est temps que je rentre chez moi.

Okja était présenté en compétition au Festival de Cannes. Il est disponbile en France sur Netflix.